
À grand coup de publicité, la chaîne de distribution Carrefour lance la vente de « légumes interdits » issus de semences paysannes, tout en promouvant une pétition pour « libérer » la commercialisation de ces semences. Coup de com’ ou réelle volonté de retrouver une vraie biodiversité cultivée ?
on assiste actuellement à un repositionnement massif des Grandes et moyennes surfaces (GMS) sur un marketing de la qualité qui fait la part belle au bio, au local, et évidemment contre les pesticides, les OGM [1]. Au-delà du greenwashing, il y a la réalité économique d’un marché bio en expansion : 20 % de croissance en 2016 [2].
Carrefour lance son « marché interdit »
Dans ce contexte, Carrefour a lancé, le 20 septembre 2017, son « marché interdit » de fruits et légumes issus de semences paysannes. Pourquoi interdit ? Car en France, et dans toute l’Europe, la commercialisation de semences ne peut se faire que pour des variétés inscrites au catalogue des variétés. Et pour les inscrire, il faut que ces variétés répondent à des critères stricts de distinction, homogénéité et stabilité (DHS), les deux derniers critères allant totalement à l’encontre de la notion de biodiversité [3].
Mais dans le cas de la commercialisation non pas des semences, mais des produits issus de ces semences, qu’en est-il ? Aucune illégalité ! N’importe quel paysan peut vendre, en toute légalité, les produits de semences qu’il a lui-même sélectionnées… ou même, depuis la loi biodiversité d’août 2016, qu’il s’est procurées dans le cadre de l’entraide agricole [4].
Le communiqué de presse de Carrefour [5] intitulé « Carrefour crée le « marché interdit », un combat pour la qualité alimentaire et la biodiversité » est donc largement abusif, comme ne s’est pas privé de le signaler le Réseau semences paysannes [6] : « Les « légumes interdits » ne le sont pas. De plus, dans la réglementation actuelle sur les échanges de semences, il subsiste quelques ouvertures : échanges pour des travaux de sélection, vente pour un usage non commercial ». Bien sûr, Carrefour ne pratique pas la désobéissance civile, et pour qui sait lire la première phrase juste sous le titre de son communiqué, il est bien écrit « La législation interdit aujourd’hui le commerce de semences de plus de deux millions de variétés issues de notre patrimoine... ». Subtil !
Est-ce à dire que cette initiative de Carrefour n’est pas la bienvenue pour le RSP ? Il tient en tout cas à s’en démarquer : « Contrairement à ce que laisse penser Carrefour qui fait large usage des termes « semences paysannes », le RSP n’est pas associé à cette campagne. Nous tenons à rappeler que le renouveau actuel des semences paysannes est dû à un travail collectif et patient, issu d’une diversité de regards et d’une mutualisation des savoir-faire : une démarche à l’opposé des stratégies marketing de l’agro-business à l’affût de nouvelles niches commerciales à exploiter ou d’initiatives écocitoyennes à récupérer pour se verdir la façade ». (...)
d’après Guy Kastler, syndicaliste paysan de la Confédération paysanne, laquelle fait partie des membres fondateurs du Réseau semences paysannes, « la définition des semences paysannes [dans cette campagne de promotion] est celle donnée par les paysans et non celle de Carrefour ». Quant à la pétition lancée par Carrefour, « c’est ce que la Confédération paysanne demande depuis des années » enchaîne le syndicaliste dans une interview [12] à notre confrère Libération. Et le fait que ce soit une grande chaîne comme Carrefour qui lance cette campagne ? « Carrefour ne fait pas mieux que Biocoop (chaîne de magasins bio, NDLR), mais ce n’est pas parce que Biocoop le fait que Carrefour n’a pas le droit de le faire, au contraire ! Si vous voulez faire bouger les choses, c’est bien d’avoir des acteurs économiques puissants, car du côté du gouvernement ils écoutent plus. Quand nous avons obtenu en 2008 le moratoire sur le maïs OGM MON810, le fait que Carrefour n’en voulait pas a beaucoup pesé. Nous avons notre moyen de faire, notre propre légitimité, Carrefour joue avec d’autres arguments » conclut Guy Kastler. (...)
Le débat est vieux comme Hérode : vaut-il mieux lutter du dedans que du dehors ? Pour le cas qui nous concerne, faut-il repousser un partenariat avec la « méchante » grande distribution, au risque de rater le coche d’une visibilité accrue ? Pour le moment, il faut le reconnaître, on n’a jamais parlé autant des semences paysannes, et des lois qui les régissent, qu’avec cette campagne de Carrefour. La suite nous dira si les promoteurs des semences paysannes et d’une agriculture valorisant au mieux les terroirs par des semences adaptées, sauront sensibiliser le public aux vraies questions de semences, d’agriculture et d’alimentation d’aujourd’hui. Une sensibilisation efficace aboutira à une curiosité sur l’origine de l’alimentation et sur le travail des paysans pour inventer une agriculture basée sur la diversité et promouvant la santé des hommes et de la planète. Par cette sensibilisation, les formes de marché et de distribution de l’alimentation devront trouver à l’avenir une véritable cohérence avec l’éthique de ceux qui produisent.