
Cela fait partie de nos agacements récurrents. Et ça n’a pas manqué mercredi soir : « Et voilà ! (Juron)Le Parisien reprend nos infos et nous cite pas ! » Quelques heures plus tôt, Dan Israël, Camille Polloni et Antton Rouget avaient révélé que la justice enquêtait sur des policiers soupçonnés d’être payés par des fourrières à qui ils permettaient en échange d’arrondir leur chiffre d’affaires.
Dans son premier article sur Internet, puis dans la double-page qu’il a consacrée à l’affaire le lendemain, Le Parisien n’a pas pris la peine de mentionner que c’est Mediapart qui avait révélé l’histoire. Vendredi matin, dans un nouvel article, Le Parisien s’attribue même mensongèrement la révélation de l’histoire. « On a vu pire scandale », me direz-vous. Et en effet, vu de loin, tout cela ressemble à un règlement de comptes entre journalistes, voire à une histoire d’ego mal placé.
Ce n’est pourtant pas de cela qu’il s’agit. Ce n’est pas pour la gloriole que nous voulons être cités. Mais parce que ce sont les règles de la profession, et qu’elles ont une raison d’être. « Citer les confrères », tout comme « sourcer les informations », figurent dans les devoirs professionnels mentionnés par la charte des journalistes français.
Or cette règle a tendance à être oubliée (...)
Car le préjudice existe : nous avons besoin d’abonnés pour exister, ils sont notre seule source de revenus. Or, pour que les gens s’abonnent, encore faut-il qu’ils sachent que nous enquêtons et révélons des informations. La reprise par d’autres médias est un moyen essentiel de le faire savoir.
Il y a quelques semaines, La Montagne, journal d’Auvergne, s’est approprié les révélations de Mediacités sur l’industriel Alma, un des poids lourds de l’eau minérale en bouteille.
Mediacités a été tout bonnement gommé. Or c’est un jeune média indépendant, qui a besoin que le public sache à quel point il est sérieux et innovant dans sa façon de pratiquer le journalisme.
C’est aussi une question de déontologie et de respect. (...)
Le Parisien le sait également car il se plaint régulièrement d’être pillé par d’autres. Un des auteurs du Parisien de l’article sur la fourrière se plaignait lui-même publiquement il y a quelques mois de n’être pas cité par Le Figaro pour ses informations sur un autre sujet. Ce qui ne l’a visiblement pas vacciné.
Car quand il s’agit de lui-même, Le Parisien a toujours une bonne raison de ne pas citer (...)
Mais pourquoi ? Est-ce que les journalistes font ça en espérant se faire bien voir de leur employeur ? De leurs lecteurs ?
Le pire reste cependant le monde de la télévision. Combien de fois des journalistes de l’audiovisuel ont-ils appelé des membres de notre rédaction pour dépouiller leur carnet d’adresses, obtenir des mises en relation, piller leurs enquêtes, leur promettant en échange de citer abondamment leur travail, de lui donner la visibilité qu’il mérite, voire de les interviewer ?
Dans 99 % des cas, le résultat est le même : Mediapart est soit oublié, soit vaguement cité à la 39e minute d’un sujet qui en fait 56 et qui est vendu comme exclusif, alors qu’il n’aurait jamais existé sans nos découvertes initiales.
Récemment encore, un exemple parmi tant d’autres, « Complément d’enquête » a effacé le très long travail d’investigation de Pascale Pascariello sur Didier Raoult. Pascale a été contactée dès le début de l’enquête télévisuelle.
Mais, lors de sa diffusion, des centaines de milliers de téléspectateurs ignoreront tout du travail au long cours de notre journaliste, et quand on se plaint, les réponses sont toujours les mêmes : « Mais si, on vous a cité, une fois » (à la 39e minute). Ou « Mais on a fait un tweet le lendemain pour dire que vous aviez fait du super boulot sur le sujet. » Génial. Merci. « Complément d’enquête » a même osé : « Mais quelqu’un nous a dit qu’il y avait une erreur de calcul dans un des articles de Pascale. » Ce qui est faux, il n’y avait aucune erreur. Il suffisait de nous interroger, de le vérifier. Et quand bien même : cela n’aurait rien enlevé à l’ensemble des révélations qu’elle a faites, contre vents et marées, pendant des mois.
Alors oui, nous sommes contents quand les informations qui nous paraissent d’importance touchent un public plus vaste que le nôtre grâce à des médias à forte audience. Mais quand notre travail n’est ni mentionné ni reconnu, cela laisse à chaque fois un goût amer.