
Alors qu’il risquait la fermeture, le refuge qui accueille les exilés venant par l’Italie va poursuivre son activité dans de nouveaux locaux. Des familles de plusieurs générations, mais aussi de jeunes Marocains, y font désormais étape.
« De toute façon, nous n’aurions pas fermé », lâche Philippe Wyon, assis sur un fauteuil de la MJC de Briançon, les coudes sur les genoux et les mains croisées. Depuis quelques jours, le référent du refuge solidaire de la ville, qui accueille depuis 2017 les exilés traversant à pied la montagne à la frontière franco-italienne, arbore une mine ravie. Le refuge va déménager à l’été 2021 et pourra ainsi poursuivre sa mission, malgré l’absence de soutien des élus locaux.
En août 2020, un courrier signé de la main d’Arnaud Murgia, président de la communauté de communes du Briançonnais (CCB) mais aussi maire Les Républicains de Briançon, leur apprenait que la convention mettant les locaux à leur disposition, tout près de la gare et du col de Montgenèvre, ne serait pas renouvelée (...)
« En cinq ans, il n’y a jamais eu de troubles à Briançon. C’est bien la preuve que quand on accueille, ça se passe bien », constate Philippe. Mardi, Refuges solidaires a signé un compromis de vente pour de nouveaux locaux, d’une superficie de 1 600 mètres carrés, situés sur les hauteurs de la ville, près de l’hôpital. Il s’agira d’un « tiers lieu » où d’autres associations pourront s’établir en vue de créer une « plateforme de la solidarité ».
Mais d’importants travaux de réaménagement doivent être réalisés dès la signature du bail, prévue début juin, dans ce qui était un ancien centre d’accueil pour demandeurs d’asile (Cada). Si Refuges solidaires n’a pu compter sur le soutien des élus locaux, de tous bords confondus – un autre lieu avait été trouvé mais le maire, « de gauche », s’y est opposé –, deux donateurs privés, à travers le fonds Riace et la Fondation Caritas, ont décidé de sauver le lieu.
« Chacun a financé un tiers du projet. Le dernier tiers l’a été par une société civile immobilière locale, parce qu’on estimait qu’il était important que les locaux participent aussi », précise Philippe Wyon, qui voit la liste de leurs soutiens s’allonger. La Fondation Abbé-Pierre finance désormais le poste de Pauline, coordinatrice du refuge. (...)
Ezzatollah est un ancien du camp de Moria à Lesbos (Grèce), qui a depuis brûlé dans un incendie (lire notre chronique). « J’y suis resté un an, j’étais dans la zone pour mineurs. » Il y perd deux amis, âgés d’à peine 12 et 13 ans, emportés par la violence qui y règne. « Un autre s’est suicidé, poursuit-il, les yeux pleins de larmes. Moi-même, j’ai voulu me tuer trois fois. » Depuis, il peine à trouver le sommeil le soir. (...)
Depuis quelques mois, les bénévoles du refuge constatent un changement de profil parmi les nouveaux arrivants : « Avant, on avait 95 % de jeunes hommes originaires d’Afrique de l’Ouest, dont la moitié était des mineurs. Aujourd’hui, on a beaucoup de familles afghanes et iraniennes, sur plusieurs générations, avec des enfants en bas âge et des personnes âgées », relève Philippe Wyon.
De quoi chambouler l’organisation et le quotidien du refuge, peu habitué à recevoir un tel public. Pour leur offrir davantage de confort, les bénévoles leur proposent d’être hébergées chez des familles solidaires ou dans une salle de la paroisse Sainte-Catherine. (...)
Ramin souffle enfin. Il est éreinté. « Je suis si fatigué que je n’ai pas réussi à dormir hier soir, dit-il. On a marché dix heures pour traverser la frontière. À chaque étape difficile, dans la montagne, je devais aider mes proches un par un. On devait souvent se cacher pour ne pas être vus par la police. » Pour maximiser leurs chances, ils empruntent le chemin le plus ardu, là où la présence policière est moindre. (...)
« À Kaboul, j’étais parfumeur », sourit-il, ajoutant avoir dû partir à la suite de « problèmes personnels ». Son père, assis au soleil près de lui, l’écoute sans dire un mot. « On a d’abord été en Iran puis en Turquie et en Grèce. L’Organisation internationale pour les migrations [OIM] nous a acheminés à Thessalonique, dans un camp de migrants. »
Ensemble, ils traversent les frontières macédonienne, serbe et bosnienne à pied, en bus ou en camion. « C’était très difficile à la frontière croate. Chaque jour, on tentait notre chance mais la police nous refoulait. Elle nous fouillait et volait nos téléphones, quand elle ne les cassait pas sous nos yeux. » Ils parviennent à franchir la frontière après 40 tentatives. « Ils ont pris nos empreintes là-bas, puis en Slovénie. » (...)
À Clavières (Italie), près de la frontière avec la France, la famille est arrêtée à deux reprises par la police. Le jeune homme explique aux agents que sa petite sœur, âgée de 16 ans, a un cancer du sein. Elle est affaiblie et essoufflée. « Ils m’ont dit : “OK, on a un docteur qui va l’examiner.” Mais en fait, ils n’ont rien fait pour elle, soupire Ramin. Je ne comprends pas pourquoi ils ferment les frontières. On est juste des êtres humains qui veulent se réfugier dans un lieu sûr et travailler. » (...)
Camille, infirmière et bénévole à Médecins du Monde, tient une permanence pour les exilés au refuge. « Effectivement, on a de plus en plus de familles et de bébés, confirme-t-elle. Je me souviens aussi d’un homme âgé d’une soixantaine d’années. » (...)
En Albanie et en Bosnie, tous évoquent des « gens bons et généreux ». Mais si c’était à refaire, même sans avoir à payer le trajet, ils ne referaient pas la route des Balkans. « C’est trop dur et trop long. On a tous passé en moyenne un an sur la route, à dormir dehors, dans la montagne, à marcher des centaines de kilomètres, à se cacher dans des camions », détaille Nabil avant d’évoquer le cas des sept hommes originaires d’Afrique du Nord retrouvés morts dans un conteneur au Paraguay, en octobre dernier, quatre mois après avoir quitté la Serbie.
« On a pris cette route car par l’Espagne, c’est devenu quasi impossible, se justifie un autre. Ils ont serré les boulons et si on est arrêtés, c’est directement la prison. » En fin de soirée, certains jouent de la guitare, d’autres sirotent un thé. Hicham prépare ses affaires : demain, il rejoint la capitale pour une nouvelle vie. (...)
Cet architecte de profession, accompagné de ses deux enfants, a dû fuir l’Iran à la suite de menaces de mort. « Je n’ai pas eu le choix », assure-t-il, retenant le flot de larmes qui envahit soudain ses yeux noirs. Son neveu, âgé de 26 ans, Akoo*, l’accompagne, lui et ses enfants. « Mon père est activiste et je commençais à être en danger. Sans compter que je n’arrivais pas à trouver du travail à cause de ça. »
Après avoir échoué à traverser par bateau depuis la Turquie, il part le premier, par la route des Balkans. « Mon voyage a duré deux mois et demi, dans la neige et le froid. » Lui aussi emprunte « le triangle » pour éviter la Croatie. En Autriche, il prévient la famille, restée en Turquie, que la route est « trop dangereuse ». Celle-ci parvient à faire la traversée par la mer jusqu’en Italie.
« Le bateau bougeait beaucoup, les enfants étaient terrifiés et n’arrêtaient pas de pleurer », se souvient leur père, ajoutant que sept femmes étaient à bord. Akoo regarde sur son smartphone la carte GPS où de petits points rouges indiquent chacun de ses points de passage. « On s’est retrouvés à Oulx à 19 heures vendredi. On a marché de nuit, dans le noir, pour rejoindre Briançon par le col de Montgenèvre. On tenait chacun un enfant par la main. Ils étaient épuisés. On faisait des pauses toutes les dix minutes et on leur répétait qu’on y était presque. »
Les statistiques anonymisées de l’association Refuges solidaires montrent une hausse des arrivées d’Afghans, d’Iraniens, de Marocains et d’Algériens en 2020 et jusqu’au 31 mars 2021. 429 femmes et enfants de moins de 13 ans sont passés par le refuge de Briançon en mars, soit le double par rapport à février et janvier 2021. Le refuge continuera d’accueillir jusqu’au déménagement l’été prochain.