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Salon de l’agriculture ? Non. Salon de l’agro-industrie
Article mis en ligne le 5 mars 2016

La grande vitrine annuelle de l’agriculture française baisse le rideau ce dimanche. Mais le Salon éclipsé les associations et acteurs du bio au profit des multinationales de l’agroalimentaire, venues labourer les esprits. Pourtant, avec 700.000 visiteurs, difficile de faire l’impasse sur l’événement.

À midi, l’affluence est à son comble. Une quarantaine de salariés s’activent sur le plus gros stand du Salon de l’agriculture. « Venez déguster les produits Lidl. Vous les retrouverez en magasin », lance un employé de la chaîne discount au milieu de la foule. Les badauds se pressent pour goûter le jambon sous cellophane et le fromage pasteurisé.

À côté, McDonald’s propose des jeux pour enfants. À sa droite, Charal invite à se prendre en selfie devant le stand. L’animateur, micro en main, motive le public qui scande le slogan de la marque. « HUM CHARAL ! Plus fort ! Il faut aller le chercher profond, le Charal qui est en nous ! »

Porte de Versailles, les grands groupes sont partout, sous la lumière éclatante du hall d’exposition. (...)

« Ils labourent les esprits. Ils se rachètent une image et font croire qu’ils sont proches des paysans, lâche Emmanuel, un arboriculteur en colère. Ici, c’est le temple de l’agrobusiness. Les multinationales sont omniprésentes. » À Paris, les fossoyeurs de l’agriculture se pavanent alors qu’à la campagne, les paysans crèvent. On compte 600 suicides en 2015. En dix ans, les agriculteurs ont perdu plus de 30 % de plus-value au profit des transformateurs et distributeurs.

« On donne aux gens l’illusion d’une rencontre »

Dans les allées du salon, le paradoxe culmine. « L’alimentation citoyenne » est au centre des attentions mais les acteurs du bio et les associations restent marginalisés. Seule une petite place leur est laissée au pavillon 4, loin des animaux d’élevage, qui attirent les visiteurs. Le mouvement Terre de liens y fête pour la première fois sa présence. 20 mètres carrés d’exposition à 9.000 euros le ticket d’entrée. En comparaison, McDonald’s a une place réservée dans le premier pavillon depuis quinze ans. (...)

Les organisateurs prennent les exposants pour des vaches à lait. « Ils font des devis pour le moindre service, la wifi, les badges… La location d’un micro coûte 300 euros la semaine alors qu’on en trouve à 100 euros à l’extérieur dans les commerces », raconte une bénévole de Terre de liens.

Un membre de la Fnab (Fédération nationale de l’agriculture biologique) regarde, dépité, passer le public. « Notre stand est perdu dans la masse. Nous n’avons pas la même force de frappe que les grands groupes. Peu de personnel. Pas de goodies. Pas de ballon… » En face, sur le stand de Farming Simulator, les enfants jouent à la Playstation 4. À l’écran, ils manient de gros tracteurs et des abatteuses, ces machines capables de raser un hectare de forêt en une journée. (...)

Les Amap (Associations pour le maintien d’une agriculture paysanne), qui comptent pourtant plus de 200.0000 adhérents, n’ont pas d’espace à eux. Le réseau squatte une table de la région Ile-de-France. À peine un mètre de longueur. La FNCIVAM, une association de développement rural, a, elle, carrément déserté l’événement. « Une économie qui nous permet de financer un demi-poste à l’année », affirme l’un de ses membres.

À part les éleveurs qui font défiler leurs animaux, on trouve peu de petits producteurs. Peu de paysans. (...)

« Vous trouverez ici toutes les races de porcs traditionnelles : le gascon, le cul noir du Limousin, le blanc d’Ouest… » Une diversité très loin de la réalité. « La race industrielle White Large représente à elle seule 60 % des porcs français. Ce qu’on vous montre ici, c’est au mieux une mascarade, au pire un mensonge. » Avant de devenir l’égérie du Salon, la vache bazadaise a manqué de disparaître. Seules 4.000 bêtes de cette race pâturent encore dans nos bocages.

Aujourd’hui, les citoyens sont en manque de rustique et d’authenticité. Les firmes tentent d’adapter leur discours

Chez Diester, la multinationale des biocarburants dont le stand a été envahi, mardi dernier, par les faucheurs volontaires, les communicants ont travaillé leur novlangue (...)

Les nouvelles technologies sont aussi au rendez-vous. Moderne et attractive, l’agriculture investit désormais dans le high-tech. « Une ferme connectée et digitale » qui fait grincer des dents certains militants de la Confédération paysanne : « C’est le cheval de Troie de l’agro-industrie. Avec ses drones, ses robots et ses applications pour smartphone, l’agriculture industrielle tente de séduire le public. » Les paysans connaissent sur le terrain l’impact pratique de certaines de ces « innovations » : le puçage RFID de leurs bêtes, la perte de savoir-faire et d’autonomie, la disparition d’emploi… (...)

Sur le stand d’Ardelaine, une coopérative qui file la laine en Ardèche, on se veut quand même optimiste. « On parle à une centaine de personnes par jour. On commence à discuter autour de la laine avant de sensibiliser le public sur ce qui nous tient à cœur : la relocalisation de notre activité, l’agriculture paysanne, raconte une salariée. On sème des petites graines. On verra bien ce qui poussera. » (...)