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SOS Méditerranée : “S’il nous est interdit d’entrer dans les eaux italiennes, nous n’irons pas”
Article mis en ligne le 6 août 2019

L’Ocean Viking a quitté, dimanche 4 août, le port de Marseille pour sa première mission de sauvetage au large de la Libye. Le président de l’ONG nous explique les enjeux de sa mise en circulation.

Le nouveau bateau affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, l’Ocean Viking, a quitté le port de Marseille dans la soirée dimanche 4 août. Ce navire prend la suite de l’Aquarius, qui a permis de secourir pas loin de 30 000 personnes et dont la circulation a été interdite en décembre 2018. Il permettra à l’ONG SOS Méditerranée de poursuivre sa mission de sauvetage. François Thomas, président de l’association européenne depuis juin 2019, est revenu avec nous sur sa mise en circulation et sur les décisions que doivent acter les Etats européens pour prendre en charge ces rescapés. (...)

On a fini par trouver ce navire, l’Ocean Viking, sous pavillon norvégien, ce qui correspondait bien à ce qui était recherché pour les missions de sauvetage. Il avait déjà servi de navire support de ravitaillement et d’assistance pour des plateformes de forage en mer du Nord, il pouvait servir de bateau de sauvetage s’il y avait une catastrophe. Donc il convenait très bien, mais il fallait l’adapter à nos besoins. Il y a eu plusieurs mois de travaux. Des abris et un hôpital ont été mis en place. Les différents espaces ont été conçus par un architecte naval. Les retours d’expérience de l’équipe de SOS Méditerranée et de nos partenaires de Médecins Sans Frontières ont permis de créer un espace avec une "grande capacité d’accueil" mais ça reste quand même très peu confortable pour les rescapés mais ils seront quand même dans de meilleures conditions que sur l’Aquarius. Il y a plusieurs douches et toilettes, 60 mètres carrés d’installations médicales, des abris, 3 salles de consultation. Les personnes à bord seront aussi mieux protégées des intempéries.

Pourquoi avoir choisi un pavillon norvégien pour l’Ocean Viking ?

D’abord parce qu’un armateur a accepté que nous exploitions ce navire, mais aussi parce que les Norvégiens sont très bien classés au niveau de la réputation des pavillons sur la sécurité. Et puis, la Norvège est quand même un pays qui a une certaine éthique des droits de l’Homme, ça nous semblait être un pays en capacité de résister à des pressions. (...)

A bord de l’Ocean Viking, se trouvent neuf membres d’équipage, neuf membres de Médecins Sans Frontières, des sauveteurs, une personne de la communication et une autre en charge de filmer tout ce qui se passe à bord pour que rien ne nous soit reproché. On est très vigilants sur le respect de la légalité.

Qu’implique l’interdiction d’entrer dans les eaux italiennes pour les bateaux humanitaires récemment décrétée par Matteo Salvini ?

Nous respecterons strictement la loi. S’il nous est interdit d’entrer dans les eaux italiennes, nous n’irons pas.

Et en Libye ?

Il y a des règles internationales qui ont découpé toutes les côtes du monde en zones de responsabilité en cas de catastrophe, de naufrage ou de crash aérien. Sous pression italienne, il y a une zone qui a été attribuée à la Libye il y a deux ans. Nous n’avons pas le droit d’entrer dans les eaux territoriales libyennes, nous allons donc naviguer à un peu plus de 50 kilomètres de leurs côtes mais dans une zone qui reste, d’un point de vue sauvetage, sous responsabilité libyenne. Donc si nous voyons des naufragés ou si on nous demande d’aller en chercher dans cette zone, nous avons l’obligation de prévenir les autorités libyennes de coordination des secours et nous devons leur demander où est ce qu’on doit les débarquer. Ils vont probablement nous donner la réponse classique – qu’ils ont donnée à toutes les ONG – qui est de les débarquer dans un port libyen. Pour nous, ce n’est pas possible parce que les règles internationales sont très claires : on doit débarquer les rescapés dans un lieu sûr. Un lieu sûr c’est là où le droit des personnes est respecté, où on peut les nourrir, les soigner et où leur statut éventuel de réfugié peut être étudié. Ce n’est évidemment pas le cas des ports libyens, et c’est d’ailleurs confirmé par l’OIM (Organisation internationale pour les migrations, ndlr) qui dépend des Nations unies et de la Commission européenne. A partir de là, on va rester dans l’attente que les Etats de coordination européens nous disent où les débarquer. (...)

840 personnes sont mortes en Méditerranée depuis le début de l’année. Est-ce que vous attendez une action plus forte de la part de l’Europe ?

C’est effarant. Ce sont 840 visages, on l’oublie trop souvent. Ce sont des enfants, des femmes, des histoires de vie. La Méditerranée centrale, c’est la route la plus meurtrière. Et ce nombre ne prend certainement pas en compte toutes les victimes, ce sont les chiffres officiels déclarés par l’OIM. Ils se basent sur des corps qui ont été retrouvés ou des témoignages mais ils ne prennent pas en compte tous les disparus et les corps qui arrivent sur les côtes libyennes. C’est une grande responsabilité de l’Europe. Les valeurs européennes coulent en Méditerranée, c’est incroyable ce qui se passe. Ça ne peut être qu’une solution européenne et aujourd’hui, même si j’ai bon espoir que ça bouge, ce n’est pas le cas. On est toujours dans cette situation dramatique. Ces gens qui ont fui la Libye, qui ont risqué leur vie pour traverser la Méditerranée... c’est une question de survie pour eux. Ils ont été torturés, violés, il y a des blessés à bord. Ils sont traumatisés par ce qu’ils ont vécu en Libye et certains y sont restés plusieurs années. Mais en plus, ce sont des naufragés donc il faut les débarquer le plus rapidement possible. (...)

huit pays (la France, l’Allemagne, la Finlande, le Luxembourg, le Portugal, la Lituanie, la Croatie et l’Irlande selon l’entourage du président français, ndlr) se sont déclarés prêts à trouver un accord, cinq seulement se sont dits prêts à prendre en charge une partie de l’accueil mais aujourd’hui c’est toujours au cas par cas, aucune décision concrète n’a été prise. On espère que la réunion qui aura lieu à Malte en septembre prochain sur le même sujet débouchera sur un accord mais vu la situation en Libye, en Italie et le manque de prise de décisions au niveau européen on s’attend à ce que ça ne soit pas immédiat.