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Roms, vie entrouverte à Marseille
Article mis en ligne le 14 février 2014
dernière modification le 9 février 2014

De la prise en charge sanitaire et scolaire à la cohabitation avec des riverains hostiles, « Libération » suit depuis l’été les tentatives d’intégration d’une vingtaine de familles installées dans un bidonville des quartiers Nord, et menacées d’expulsion.

C’était le 22 janvier au matin. Une jeune femme se présente au centre de soins de Médecins du monde (MDM) à Marseille. Rom originaire de Roumanie, Elena a mal derrière l’oreille et tient à la main un plomb, que son mari lui a retiré de la tête. Quelques jours plus tôt, un homme lui a tiré dessus depuis sa fenêtre parce qu’elle faisait les poubelles. Personne n’en a entendu parler. Personne n’a porté plainte. Il y a un an déjà, la famille d’Elena s’était fait agresser la nuit par des inconnus armés de barres de fer parce qu’elle dormait sur une pelouse entre deux expulsions.

Ces passages à l’acte se multiplient. Des voitures frôlent volontairement ceux qui écument la ville avec leurs poussettes, fouillent dans les détritus. « De toutes les populations précaires que nous suivons, résume Cendrine Labaume, coordinatrice générale de Médecins du monde à Marseille, les Roms sont de loin les plus visés par les violences. Les discours politiques nationaux et locaux ont désinhibé la parole, et parfois les actes. » (...)

Sur le campement des Roms, il n’y a pas de toilettes, pas d’eau, pas de poubelles ni de containeurs. Des éducateurs essaient de nouer des liens avec les riverains. Depuis octobre 2012, l’Association départementale pour le développement des actions de prévention (Addap13) a mis en place une mission dédiée aux Roms vivant en bidonville, 27 campements ces temps-ci, au total 1 300 personnes. Sébastien Faure, éducateur spécialisé de 31 ans, dit comprendre le ras-le-bol des voisins. Selon lui, ces campements ont quelque chose de régressif pour ceux qui ont connu les bidonvilles. Il entend souvent : « De mon temps, c’était propre et les enfants allaient à l’école. » L’éducateur répond qu’il y avait l’eau, l’électricité, des poubelles, des toilettes. Et une stabilité que rompent les expulsions régulières. (...)

La communauté urbaine s’est engagée à fournir des bacs et assurer le ramassage des ordures. Elle fait preuve, paraît-il, de bonne volonté, son directeur de la propreté se déplace aux réunions, des solutions ont été trouvées. Trop peu, selon la Fondation Abbé-Pierre et Médecins du Monde, qui envisagent de mettre des poubelles à disposition et de s’engager à payer, en cas de défaillance des familles, la taxe sur l’enlèvement des ordures ménagères.

Pour l’eau et les sanitaires, du ressort de la ville, cette dernière ne dit jamais non, pourtant rien ne se passe. (...)

Cendrine Labaume, de Médecins du monde, estime que l’on « entretient une surprécarité qui attise les tensions sociales et explique en grande partie la montée du rejet ».

Autour du Ruisseau-Mirabeau, on entend souvent des riverains menacer de « mettre le feu ». Dans une réunion de locataires, cet automne, une femme proposait de « les stériliser ». Du bus qui passe sur la ligne longeant le terrain, des passagers montrent régulièrement leur majeur. Les Roms ne réagissent jamais. « Ils ne sont pas belliqueux, ni même revendicatifs.On sent qu’il y a une grande habitude d’être maltraités », observe Dominique Haezebrouck, responsable de la « mission bidonvilles » de Médecins du monde à Marseille. Un jour, un camion sanitaire se trouvait sur le campement, un voisin est arrivé, a demandé qui était le responsable. Elle s’est présentée. « Vous allez arrêter tout de suite, a dit le voisin. Il ne faut pas s’occuper de ces gens-là. Ce qu’on veut, c’est qu’ils partent. » (...)

Les consultations sur site de MDM permettent de repérer les situations, faire de l’éducation à la santé, accompagner les familles vers les structures de droit commun. Deux agents de médiation parlant roumain vont avec les familles dans les hôpitaux. Et témoignent, parfois, de refus de soins, le plus souvent insidieux. L’attente bien plus longue que pour les autres patients. Les attitudes hostiles. Les propos dissuasifs. L’autre jour, un médiateur accompagnait un homme qui pleurait de douleur, il a entendu un vigile, dans l’hôpital, dire : « Pourquoi il pleure, ce cafard ? »

Dans le sillage de Médecins du monde, d’autres institutions ont compris l’intérêt de travailler avec les populations roms, pour éduquer, prévenir. (...)

Sur le bidonville, une autre expérience est menée. Quelques mères apprennent à écrire le vendredi après-midi, dans la même classe que les enfants. Régulièrement, il faut enlever les détritus, les moteurs de voitures désossées, pour dégager les tables et faire cours. Mais le campement joue le jeu. Au début, les maris n’acceptaient pas trop. A chaque fois que la classe des mères commençait, il y en avait un qui rappliquait en criant parce qu’il avait faim, voulait qu’on lui fasse à manger. L’enseignante bénévole expliquait que c’était impossible pendant l’école, et les femmes roms l’encourageaient discrètement.

Les occupants du Ruisseau-Mirabeau veulent-ils rester en France ? S’installer ? Travailler ? Ou poursuivre leurs déplacements pendulaires ? Les attentes semblent variées. Depuis le 1er janvier, ils peuvent travailler sans restriction, comme tout Européen - et cela n’a pas créé l’afflux parfois annoncé. Dominique Haezebrouck, de la mission bidonvilles de MDM, relève d’ailleurs que les populations qui se trouvent à Marseille sont très stables (...)