
Institutrice depuis plus de trente ans, Véronique Decker dirige depuis plus de dix ans l’école primaire Marie-Curie, cité Karl-Marx à Bobigny (Seine-Saint-Denis). Une école actuellement fréquentée par une trentaine d’enfants roms, et dont le personnel est particulièrement impliqué dans leur accueil. La directrice s’est associée au rapport d’Amnesty International "Chassés de toutes parts : les expulsions forcées de Roms en Ile-de-France" publié jeudi
(...) La loi française selon laquelle tout enfant de 6 à 16 ans vivant sur le sol français doit aller à l’école est aujourd’hui profondément bafouée. A l’instar de la directive selon laquelle les maires doivent recenser les enfants vivant sur le territoire de leurs communes, en informer l’Education nationale, et qu’ensuite l’Education nationale doit accorder le nombre d’enseignants suffisants pour scolariser tous les enfants. Les maires ne recensent pas. Quand les enfants sont recensés, beaucoup de mairies refusent de les inscrire. Quand les maires acceptent d’inscrire les enfants, l’Education nationale ne fournit pas les postes d’enseignants en temps et en heure. Un maire de Seine-et-Marne a même utilisé la police municipale pour interdire l’accès à l’école à des enfants roms. Et il n’arrive jamais rien à tous ces gens qui bafouent la loi. (...)
– Nous créons une nouvelle génération d’analphabètes. Nous nous sommes battus pendant près d’un siècle pour éradiquer de France tous les analphabètes, puis pour venir à bout de l’illettrisme, et nous sommes en train de créer une nouvelle génération d’enfants qui seront nés sur le sol français sans avoir eu accès à l’école. Nous fabriquons des Cosette, des Gavroche, et cela nous coûtera. Personne ne peut imaginer que des enfants qui n’ont pas eu accès à l’école s’intégreront harmonieusement dans la société à venir. Nous recréons la cour des miracles, et les problèmes qui vont avec. (...)
Comment se traduit l’impact des expulsions sur la scolarisation des enfants ?
– Les conséquences sont d’abord traumatiques. L’expulsion, extrêmement violente pour les adultes, l’est d’autant plus quand elle est vue à travers un regard d’enfant. Lorsqu’un enfant est réveillé à six heures du matin, qu’on écrase à la pelleteuse la cabane dans laquelle il vit alors que ses affaires sont encore dedans : son sac d’école, son doudou, qu’il voit sa mère pleurer et son père hurler, c’est à l’évidence traumatisant et douloureux. Ces traumatismes resteront inscrits dans son psychisme, dans sa mémoire. Comme tous les enfants, il pourra les effacer, mais au prix, parfois, d’un effacement des savoirs scolaires qu’il avait acquis. Cela le mène vers un abandon progressif de l’apprentissage. (...)