
J’ai commis une chronique dans Politis le 8 octobre dernier, intitulée « Travail et revenu indissociables » qui m’a valu une volée de bois sec. Pour ne pas que l’affaire tourne au vinaigre avec le journal, j’ai fini par me laisser convaincre de réaliser un enregistrement vidéo avec Baptiste Mylondo sur la question controversée du revenu d’existence, dont on trouvera ci-dessous la transcription presque intégrale, réalisée par Thierry Brun.
On verra que, une fois qu’on a accepté de ne pas mélanger les plans normatif et positif, c’est-à-dire une fois que le droit à vivre décemment pour tous les humains est affirmé sans ambiguïté, il reste un problème théorique et un problème politique. Le problème théorique est connu depuis l’Antiquité : la valeur d’usage ne se réduisant pas à la valeur, quand je joue aux cartes avec mes amis, confortant ainsi nos liens d’amitié, je ne crée pas de valeur. Le passage de la première à la seconde suppose une validation sociale, que ce soit par le marché ou par décision politique collective. Si on verse un revenu aux joueurs de cartes parce qu’ils jouent aux cartes, ce revenu viendra d’un prélèvement sur le fruit du travail réalisé et validé ailleurs. Adhérer à la croyance que valeur d’usage et valeur se confondent constitue(rait) un ralliement à la théorie économique que l’on appelle néoclassique. Et les théoriciens néoclassiques sont conceptuellement des charlatans et des idéologues. Le problème politique est directement branché sur l’actualité de la crise du capitalisme : est-il préférable de lutter pour une réduction du temps de travail suffisante dans le but de faire enfin disparaître le chômage ou de verser un revenu inconditionnel au risque de déréguler un peu plus l’emploi de la force de travail ? Question théorique et question politique sont alors liées par le fait que la validation de la valeur relève des institutions de la société, et non pas d’un choix individuel fondement d’une prétendue inconditionnalité.
On peut trouver sur mon site d’autres textes complémentaires aux raisons que j’oppose ici aux croyances que la société ne serait qu’une somme d’individus prenant des décisions tout seuls.
Transcription de l’entretien réalisé par Thierry Brun (Politis, n° 1377, 13 novembre 2015) (...)