L’autrice de cette tribune raconte le traumatisme de la perquisition que son compagnon et elle ont subi en 2018, en raison de leur solidarité avec la lutte contre le projet Cigéo à Bure. Elle dénonce la criminalisation des écologistes et la disproportion de la répression qui s’abat sur eux.
(...) C’est mon premier emploi porteur d’une éthique puissante, le premier qui a du sens pour moi. Quelques mois avant mon embauche, j’avais mis un pied dans le maelstrom des questionnements liés à l’écologie, dans son acception la plus large : recherche de réduction des déchets, certes, mais aussi remise en cause des procédés industriels, du marketing, de la grande distribution…
Mais il faut bien reconnaître qu’en matière de prise de conscience, je tombe du nid : très peu politisée, sans culture militante, ignorante de l’histoire de la plupart des luttes passées et à l’œuvre aujourd’hui. Pas de manif à mon actif, jamais lu autre chose que l’histoire des puissants écrite par eux-mêmes. Prenant à peine la mesure de la complexité des rouages socio-économiques et de leur portée culturelle, je papillonne de découverte en microaction. Nécessairement, je commence à entendre parler des grands chantiers inutiles, coûteux et dangereux, comme celui de Cigéo, à Bure. (...)
À l’époque, j’avais déjà ressenti la peur. Je ne me représentais pas bien ce qu’implique une perquisition, mais l’idée que ma bulle, mon cocon pourrait être occupé par les détenteurs de la force publique m’avait mise dans un profond sentiment d’insécurité. Parallèlement, la possibilité que mon compagnon puisse être inquiété pour ses convictions en faveur d’un monde plus propre et plus juste commençait à faire naître en moi quelque chose de l’ordre de la colère. (...)
Il sont là. Quatre ou cinq, je ne sais plus. La sonnette retentit de nouveau, je sursaute, déverrouille la porte, puis l’ouvre. Ils me semblent grands. L’un d’entre eux porte un gilet pare-balles, plusieurs sont armés. J’aperçois leurs brassards quand ils demandent si Christophe est ici. Je réponds que oui et, avec candeur, je demande si je peux le prévenir pour qu’il puisse s’habiller. La main sur son arme, un gendarme me répond que non ; il semble tendu. J’essaie de garder mon calme et j’en oublie ce que je m’étais juré de faire : avant toute chose, demander le motif de leur visite. Établir que je suis chez moi ici. Mais la présence des armes me fait peur, leurs regards hautains m’intimident et mon ignorance est grande ! Je ne connais aucun de mes droits ! (...)
je crois qu’on m’indique enfin que Christophe n’est pas impliqué, mais cité comme témoin.
Témoin.
Témoin, à moitié nu, cueilli au petit matin, dont l’ordinateur personnel est en train d’être scanné par les forces de l’ordre. (...)
En écrivant cela, j’ai bien conscience d’avoir subi une perquisition plutôt… tranquille. Pas de menace directe avec armes, pas de violence physique, pas de cris, pas d’insultes. Et je n’ai même pas assisté à la fouille de mon domicile, je n’ai donc pas de souvenirs désagréables à ce sujet.
Mais mon malaise persiste pourtant, il est diffus. J’éprouve encore la sensation d’avoir été envahie jusque dans mon refuge, et sans motif qui me paraisse légitime. Christophe n’est que témoin et je ne suis que sa logeuse. Oui, mon malaise persiste et ma colère grandit. Parce que c’est la crédibilité de ceux qui font appliquer la loi qui est mise à mal. Comment me sentir en paix si la plus petite de mes convictions écologiques ou de celles de mes amis peut amener des personnes armées dans mon salon ? À présent, comment faire confiance aux forces de l’ordre et à ceux qui les emploient ? Et si j’ai été autant affectée par cette intrusion, que dire de celles et ceux qui se font passer à tabac, de celles et ceux qui retrouvent leur logement saccagé ? À l’aune de la blessure qui est la mienne, je mesure le drame qu’ils et elles vivent ! J’en ai souvent la nausée. (...)
Et que dire de la saisie des biens ? Une fois de retour chez moi, mes yeux se posent sur la bibliothèque ; habituel recours en cas de pensées noires. Mais pas de réconfort cette fois-ci, car chez moi, désormais, tout me semble suspect, louche. Alors j’apprends qu’une saisie a été effectuée, le tout d’une valeur presque égale à mon petit salaire du moment, soit 500 euros.
Mais, plus que la perte matérielle, bien minime par rapport aux saisies effectuées à Bure, par exemple, c’est l’injustice et la disproportion qui me choquent. Quelle est la frontière entre saisie et confiscation ? À l’heure de la surveillance de masse et de la technopolice, comment ne pas constater rapidement que mon matériel informatique ne recèle rien qui concerne les affaires de Bure ?
Christophe a rempli récemment une demande pour récupérer son matériel saisi et le mien. Nous sommes sans réponse à ce jour. (...)
La violence des forces de l’ordre, qu’elle soit physique ou psychologique, a été mise en lumière pendant le confinement et chaque témoignage me semble utile pour étayer notre réflexion sur le sujet.
Sur un plan plus personnel, je garde de cette expérience une colère que j’espère pacifier un jour. Pour qu’elle me permette de rester en alerte tout en savourant les parts de liberté que je conquiers.