
Lors de la séance de questions au gouvernement du 18 janvier, la ministre de l’enseignement supérieur s’est gargarisée de son bilan. Elle a même annoncé qu’en termes de logements étudiants, son gouvernement avait fait mieux que le précédent, en rénovant 100 % des logements Crous. Un chiffre sorti de nulle part que le ministère est bien en peine de justifier.
Emmanuel Macron, en candidat président, a décidément le sens du timing. Alors que des dizaines de milliers d’enseignant·es se retrouvaient dans la rue pour dénoncer le traitement fait aux personnels et aux élèves de l’Éducation nationale, il décidait, ce même 13 janvier, de donner le coup de grâce à l’enseignement supérieur. Devant les présidents des facultés, il se prenait à rêver d’une université de moins en moins financée par le public et d’une recherche toujours plus soumise aux intérêts privés, comme nous l’avons déjà raconté. (...)
Moins d’une semaine après, c’est à la ministre de l’enseignement supérieur de faire le service après-vente devant les députés. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la séance de questions au gouvernement du mardi 18 janvier était animée. Après les questions sur les vacances à Ibiza du ministre de l’éducation nationale, Frédérique Vidal a dû venir à la défense du candidat président qui enterrait l’université publique quelques jours plus tôt.
Des « places magiques » à l’université
À une question de la députée socialiste Isabelle Santiago, la ministre de l’enseignement supérieur, visiblement agacée, a répondu en se gargarisant du bilan quinquennal : « Vous réclamez plus de places ? Vous auriez pu le faire entre 2012 et 2017 ! Nous l’avons fait, plus 89 000 places. » Des chiffres lancés aux députés, régulièrement répétés sur les plateaux et qui agacent toujours autant les syndicats d’enseignants et d’étudiants qui estiment que, tant que des financements conséquents ne seront pas débloqués, tant que les nombreux contractuels de l’enseignement supérieur ne seront pas embauchés, tant que des facultés ne seront pas construites, ces chiffres ne resteront que des chiffres, les salles de cours n’en seront que plus bondées et ces places ne seront rien d’autre que « des places magiques ». (...)
« Vous réclamez plus de logements ? Vous auriez pu le faire ! Nous l’avons fait et nous avons rénové 100 % des logements du Crous et je pense que nous avons fait mieux que vous. » Au mieux, Frédérique Vidal méconnaît largement le bilan de son propre ministère, au pire, elle ment. Le CNOUS, centre national des CROUS, se montre plus prudent et indique, auprès de Mediapart, que « 100% des projets de réhabilitation prévus pendant le quinquennat ont été réalisés ou sont en passe de l’être car les travaux sont en cours ».
« Plus c’est gros, plus ça passe, souffle Naïm Shili, porte-parole du syndicat étudiant Alternative ESR. Il y a eu des efforts de rénovation mais il reste de nombreuses résidences où le chauffage manque, où les cafards sont nombreux, où il y a de l’insalubrité. » Et les exemples ne manquent pas dans la bouche du syndicaliste. (...)
Sur les réseaux sociaux, des centaines d’étudiant·es se sont agacé·es face à la déconnexion de leur ministre : « Dans mon logement, il y a le mur qui a des fissures de mort, si j’appuie ça tombe et ça a été rénové ? », « Ça fait trois ans que j’attends qu’on répare le plafond de ma salle de bains », « Mon robinet qui fuit de partout rigole », « Pas le souvenir que mon logement Crous a été rénové… Après peut-être qu’ils cherchaient à refaire une ambiance années 70 un peu miteuse. »
100 % de logements Crous rénovés ? Une affirmation bien éloignée de la réalité
Nous avons tenté de comprendre d’où venait le chiffre donné par la ministre, en vain. Les services du ministère se sont montrés, eux, un peu plus nuancés en annonçant, auprès de Mediapart, que « près de 95 % des logements étudiants du Crous seront rénovés d’ici 2024 » (...)
En restant si flou, le ministère ne précise pas s’il prend à son compte les rénovations actées sous le quinquennat précédent. (...)
Nous avons demandé plus de précisions au ministère, nous n’avons pas reçu de réponse de leur part. (...)
Selon un document édité par le ministère du logement et le ministère de l’enseignement supérieur que nous avons pu consulter, la réalité des rénovations est bien éloignée de celle annoncée à la presse ou aux député·es. Dans ce document, diffusé aux quelques acteurs du logement étudiant dans le cadre du comité de pilotage du 1er octobre 2021, on apprend que seulement « 12 000 logements ont été réhabilités ces quatre dernières années »… Sur les 173 731 que compte le Crous, selon les chiffres annoncés dans leur rapport de 2020. Interrogé sur cette incohérence entre les informations données dans le cadre du comité de pilotage et les envolées parlementaires de la ministre, le ministère ne répond pas non plus. (...)
Plus de logements étudiants privés pour cacher les carences
Dans l’hémicycle, la ministre de l’enseignement supérieur, en plus d’annoncer un chiffre faux, s’est bien retenue de parlementer sur le nombre de constructions de logements étudiants sous ce quinquennat, car, là encore, les faits sont bien loin des promesses gouvernementales. (...)
Seules 35 962 places en résidences étudiantes à caractère social ont été « mises en service », dont seulement dix mille places dans des résidences Crous. Pour parvenir, tant bien que mal, à remplir sa promesse, l’exécutif compte bien mettre à son crédit les 27 201 places mises en service dans des résidences étudiantes privées. « Les 27 000 logements privés, ils n’ont pas la main dessus, rappelle Mélanie Luce, présidente de l’Unef. Il y a juste des bailleurs qui ont décidé de construire des logements, souvent hors de prix, et de les labelliser “logements étudiants”. »
Et Alexis Alamel de préciser que « l’État pousse à ce que les bailleurs privés investissent ce champ. La France est un des marchés à saisir pour les gros promoteurs, Next City, Bouygues Construction considèrent produire du logement étudiant. Les logements privés leur servent de paravents pour masquer les carences. » (...)
Par ailleurs, selon Alexis Alamel, parmi les 35 962 places annoncées lors du comité de pilotage, certains logements ne sont pas encore sortis de terre. (...)