
Composé de trois éléments – une loi de révision de la Constitution, un projet de loi organique, ayant pour objet le fonctionnement des pouvoirs publics, et un projet de loi ordinaire –, le projet entendait réduire le nombre d’amendements déposés par les parlementaires sur les lois en discussion, créer une « chambre de la société civile » à la place de l’actuel Conseil économique, social et environnemental (Cese) [2], réduire le nombre de parlementaires et introduire une dose de proportionnelle dans les élections des députés… « Non seulement les Français n’ont pas voté aux mois de mai et juin derniers pour votre projet de réforme constitutionnelle, mais l’élection d’Emmanuel Macron est loin d’avoir résolu la crise démocratique et institutionnelle que connaît notre pays », a réagi la députée France insoumise Danièle Obono, le 6 juin, à l’enthousiasme de la ministre. « Le grand absent de votre projet, c’est celui qui devrait être au centre : le peuple », ajoutait l’élue.
« Les institutions de la 5ème République, avec un président sacré, bloquent la démocratie »
Six mois après les discussions, les événements semblent donner raison à la députée. (...)
tout le monde se remet à parler de réforme de la constitution en réponse, justement, à cette « crise profonde que traverse notre démocratie ». Le mot d’ordre, bien loin des envolées de Nicole Belloubet, se résume à trois lettres : « RIC », pour référendum d’initiative citoyenne. Moins de six mois après la tentative de lancement d’une réforme des institutions par la majorité, la France discute, en fait, de démocratie directe.
« Ce projet de réforme constitutionnelle de Macron, je l’ai suivi à la trace. Quand on voit la crise politique actuelle, telle qu’elle s’est nouée avec les gilets jaunes, et qu’on relit les débats qui se sont déroulés avant l’été, ce n’est pas du tout à la hauteur des enjeux actuels pour la démocratie, c’est même pathétique », déplore Paul Alliès, professeur émérite de sciences politiques à l’université de Montpellier. L’enseignant-chercheur préside la Convention pour la 6ème république, et milite depuis 2002 pour une refonte de nos institutions. « Il faut une mise à niveau des institutions de la 5ème république, de manière à ce qu’elles soient plus démocratiques, estime l’universitaire. Ces institutions, avec un président sacré, jouissant d’une position inébranlable, bloquent la démocratie. »
Les membres de la Convention pour la 6ème république ont formulé trente propositions. Parmi elles, la transformation de notre régime, qui, surtout depuis la mise en place du quinquennat, fait du président le chef effectif de l’exécutif et lui attribue l’essentiel du pouvoir, en un système dans lequel le Premier ministre gouvernerait [3]. « Le premier ministre est le chef des armées. Il dispose seul du pouvoir réglementaire et de l’initiative des lois au nom du gouvernement », proposent-ils. Le président se verrait alors confier un simple rôle de représentation et de garantie du bon fonctionnement des institutions. Impossible ? C’est ainsi que fonctionnent tous les autres pays de l’Union européenne, les républiques comme dans monarchies parlementaires (Royaume-Uni ou Belgique), où il n’y a pas de président ou de présidente, mais où les reines et rois remplissent cette fonction représentative. Seule la France a mis le pouvoir exécutif entre les mains d’un président.
Renforcer l’Assemblée nationale, au lieu de l’affaiblir (...)
Paul Alliès voudrait aussi redonner du pouvoir au Parlement : avec une Assemblée nationale entièrement élue à la proportionnelle – un système qui augmente en général le nombre des partis représentés, et pousse à la constitution de gouvernements de coalition entre différents partis – et un Sénat élu au suffrage universel direct (...)
« Redonner du pouvoir au politique face à la technocratie et au lobbying » (...)
Joël Labbé fait partie de la quarantaine de parlementaires membres de l’association Parlements et citoyens. Cette plateforme ambitionne de faire participer les citoyens à l’élaboration des lois, par le biais de consultations en ligne. C’est grâce à elle que Joël Labbé avait recueilli l’avis de milliers de citoyens pour sa proposition de loi pour une interdiction des pesticides non-agricoles, épandus dans les jardins publics et les espaces verts. La proposition avait ensuite été adoptée par le Sénat et par l’Assemblée nationale (Basta ! en parlait ici). « Je travaille beaucoup avec des ONG et des associations. Les citoyens ont un véritable pouvoir de pression sur les parlementaires. La reconnexion avec les citoyens, c’est aussi favoriser le fait qu’ils puissent eux-mêmes évaluer les enjeux des lois. Mais il faut leur donner des billes pour cela. »
Le référendum d’initiative citoyenne, un dispositif plus courant qu’on ne le pense (...)
Le référendum d’initiative partagée a été créé en France lors de la révision de la constitution de 2008, mais sa mise en œuvre est complexe. Il s’agit d’une proposition de loi qui serait portée par un cinquième des élus du Parlement, soit 185 députés et sénateurs, et soutenue par 10 % des électeurs — environ 4,5 millions de personnes. Si la proposition n’est pas examinée par le Parlement, le Président doit convoquer un référendum. Un tel scrutin n’a ainsi jamais été organisé depuis [6]. « Cette modification de la constitution a été adoptée à coup de grandes déclarations sur la “révolution démocratique” qu’elle aurait représentée. Mais elle n’a jamais été mise en œuvre en dix ans. Il s’agissait en fait d’un référendum d’initiative parlementaire, pas citoyenne », estime Paul Alliès. En effet, le dispositif prévoit avant tout que les députés et sénateurs soient à l’initiative d’une loi soumise à référendum. Ensuite seulement, s’ils sont en nombre suffisant, ils peuvent aller chercher le soutien d’électeurs.