
Il défend le bien-être animal, l’interdiction des animaux dans les cirques ou la disparition de l’« élevage intensif » d’ici à 2040… Le référendum d’initiative partagée (RIP) sur les animaux, lancé début juillet, a déjà récolté les signatures de 117 parlementaires et de 400 000 citoyens. Mais que cherche-t-il vraiment ?
Pour la sociologue Jocelyne Porcher, c’est tout simplement la disparition des animaux de ferme. Elle a été éleveuse, travaillé dans des porcheries où elle a découvert les conditions d’exploitation des hommes et des animaux. Depuis vingt ans, elle étudie le rapport des uns avec les autres sous le prisme du travail. Dans un ouvrage récent (1), elle montrait que, derrière les appels à sauver les animaux, il y a surtout un projet : imposer une nouvelle agriculture, cellulaire, où l’animal n’existe plus.
En un mois, le référendum pour les animaux a réuni les signatures de 400 000 citoyens. Pourquoi vous ne le signerez pas ?
Jocelyne Porcher Parce qu’il faut regarder qui est derrière. À l’origine, il y a trois milliardaires, patrons de la tech : Xavier Niel (Free), Marc Simoncini (Meetic) et Jacques-Antoine Granjon (Vente-privee.com)… Ils sont allés chercher des associations comme L214. Désormais, sur le site du référendum, comme dans les articles de presse, ces patrons sont passés au second plan. Pour moi, cette demande de référendum accrédite la thèse que la cause animale est devenue celle du capital. (...)
En regardant les six mesures proposées par le référendum, trois n’auront que très peu d’effets. L’interdiction des expérimentations sur les animaux est déjà dans la loi, les animaux de cirque sont en voie de disparition, la chasse à courre ne concerne que très peu d’animaux. Il faut se concentrer sur celles concernant l’élevage. Le RIP propose l’interdiction de nouveaux « élevages » des animaux en « cage, case, stalle ou box » à partir de 2025, un autre article veut interdire ceux « qui n’offrent pas un accès au plein air aux animaux » d’ici à 2040. Cela sans propositions alternatives. L’objet du référendum est en fait d’imposer la fin de l’élevage, de faire disparaître les animaux de ferme.
Il ne vise pourtant que l’élevage intensif…
Jocelyne Porcher L’« élevage intensif » n’existe pas. Les porcheries industrielles bretonnes, comme les usines à viande ou à lait ne relèvent pas de l’élevage. Ce sont des productions animales dans un système industriel. Ça fait vingt-cinq ans que je me bats pour la démolition de ces systèmes. Ils ne sont que le résultat des transformations du capitalisme au XIXe siècle. Mais, pour ces défenseurs de la « cause animale », tout travail avec les animaux serait violent, désastreux pour la planète et la santé, quel que soit le système de production.
Qu’y a-t-il donc derrière ce référendum ?
Jocelyne Porcher Le développement des alternatives à l’élevage. En reprenant le fil de l’histoire de l’industrialisation, on voit les liens entre la cause animale et les puissances de l’argent. Au XIXe siècle, banquiers, notables et scientifiques se sont alliés pour détruire l’élevage paysan et créer ces systèmes industriels. Les paysans ont alors perdu la bataille. Aujourd’hui, un nouveau modèle biotech émerge. Avec les steaks in vitro, la viande n’est plus extraite de l’animal mais de la cellule, d’un incubateur. L’agriculture cellulaire est le stade ultime de l’industrialisation. Elle est portée par des start-up et des fonds d’investissement. (...)
Quelle serait alors l’alternative ?
Jocelyne Porcher L’élevage paysan ! Il faudrait ajouter un article dans ce référendum pour soutenir l’élevage paysan avec des races locales en libre parcours et abattage à la ferme. Le « plein air » dont parle le référendum n’est pas une vache au pré. Le « plein air », c’est parfois une petite courette où l’animal ne peut pas évoluer. L’élevage paysan, lui, n’engraisse personne, ni l’industrie de la génétique, ni celle de la pharmacie. Ce sont des producteurs qui travaillent avec les animaux, dans une relation certes asymétrique mais respectueuse. Ils bossent sur leur ferme, produisent ce qu’ils donnent aux animaux. L’élevage paysan, c’est un projet anticapitaliste, et celui-là, les milliardaires ne le défendent pas !
Au nom du bien-être animal, une centaine éleveurs de la région de Nantes travaillent sur un projet unique en Europe : l'abattage à la ferme, pour éviter aux bêtes le stress des transports en bétaillères #AFP pic.twitter.com/pVrIt1S5Mo
— Agence France-Presse (@afpfr) August 2, 2020