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Le Grand Soir
Qui peut sauver Julian Assange ?
#Assange #libertedelapresse #wikikeaks
Article mis en ligne le 5 juillet 2023

« Qui peut sauver Julian Assange » demandaient Viktor Dedaj et Michel Collon dans la postface du livre « Julian Assange parle » que nous vous proposons ci-dessous. La question reste tristement brûlante alors que le fondateur de WikiLeaks est menacé d’une extradition imminente vers les États-Unis. Dans « Julian Assange parle », Karen Sharpe a réalisé un magnifique travail pour collecter la pensée du célèbre journaliste australien et nous permettre de découvrir la noblesse de son combat à travers ses propres mots. On se demande alors qui pourra sauver cet homme des forces puissantes qui s’acharnent contre lui. La Justice ? Les médias ? Difficile à croire quand on examine leur attitude jusqu’ici à travers quelques faits peu connus…

Une Justice nullement impartiale

Commençons par le commencement. Comment est-il possible qu’un journaliste australien, opérant en Europe, se retrouve, à cause de ses activités journalistiques, enfermé en préventive, en Angleterre, dans une prison de haute sécurité et en isolement, dans l’attente d’une extradition vers les États-Unis, un pays dont il n’a jamais été sous la juridiction ? La réponse est simple : c’est un procès politique, une opération punitive. Les plus hautes autorités politiques et judiciaires de plusieurs États ont manœuvré de manière concertée pour organiser l’enlèvement et le bâillonnement de ce journaliste. À travers une procédure judiciaire émaillée du début à la fin d’irrégularités monstrueuses. (...)

De son côté, la CIA a, sur instructions du gouvernement des États-Unis, préparé des scénarios pour kidnapper, voire assassiner Julian Assange. Elle a aussi espionné et enregistré toutes les conversations privées d’Assange avec ses avocats au sein de l’ambassade d’Équateur où il était réfugié. Cette illégalité aurait dû entraîner la nullité du dossier d’accusation US et donc l’arrêt du procès.

Il est vrai qu’un premier jugement, le 4 janvier 2021, refusera – contre toute attente – l’extradition. Mais seulement pour une raison « humanitaire » (...)

La libération immédiate de Julian Assange sera bien prononcée, néanmoins il sera aussitôt renvoyé dans une prison de haute sécurité (sans tenir compte de sa santé mentale !), car les États-Unis feront appel. Ainsi ceux qui n’ont cessé de mentir peuvent décider d’envoyer en prison ceux qui ont dévoilé ces mensonges.

Fabriquer l’ignorance

De toutes ces irrégularités de procédure, de cette parodie de justice, les médias mainstream – à de très rares exceptions près – n’ont pas parlé. Pire, ils ont largement relayé les rumeurs et calomnies fabriquées par une campagne de diabolisation organisée par les services US. Passant sous silence des faits importants qui éclairaient la figure d’Assange sous un tout autre jour. Pourquoi ?

Sous un régime dictatorial, un procès politique peut donner lieu à un procès – spectacle où le coupable sera désigné à la vindicte populaire. Mais dans une démocratie, un procès politique doit se dérouler dans l’ombre, le plus loin possible du regard de l’opinion publique. Il faut le reléguer dans les confins de notre vision périphérique (« je crois que j’en ai entendu parler ») et le réduire à des aspects anecdotiques. En Occident, un procès politique ne peut « réussir » que si l’information occulte tout un pan de la réalité et blanchit les accusateurs.

En fait, il s’agit de fabriquer l’ignorance. L’image largement répandue de Julian Assange – « un sale type mégalo, misogyne et violeur, qui s’est acoquiné avec les Russes, a commis des crimes et mis des vies en danger par ses actions irresponsables » – ne tombe pas du ciel. En réalité, si vous n’avez pas suivi de près l’affaire Julian Assange/WikiLeaks, tout ce que vous croyez savoir sur cette affaire est probablement faux.

Non, WikiLeaks n’a jamais mis des vies en danger par des « publications irresponsables ». Non, Julian Assange n’a jamais été accusé de viol. Non, WikiLeaks n’est pas une organisation de pirates informatiques, mais un site offrant refuge aux lanceurs d’alerte. Non, WikiLeaks n’a pas fait perdre Hillary Clinton. Non, WikiLeaks ne roule pas pour la Russie. Une rapide recherche sur le site WikiLeaks.org suffit pour s’en convaincre.

Le pouvoir médiatique s’oppose également à Assange (...)

il faut distinguer journalistes et médias. Ce ne sont pas les journalistes qui ont le pouvoir dans l’information. Ce qu’explique bien Anthony Bellanger, secrétaire de la fédération internationale des journalistes (FIJ), qui représente 650 000 journalistes dans le monde et qui défend fermement WikiLeaks. Interrogé sur le silence des journalistes, Bellanger a répondu : « C’est pas forcément les journalistes qu’il faut pointer du doigt, c’est les patrons de presse. Je peux vous dire […] qu’ils sont impitoyables avec cette question-là. Partout dans le monde. [Or,] Julian Assange a la carte de presse de notre fédération internationale que j’ai moi-même signée. Le devoir d’être informés en tant que citoyens, c’est l’essence même du travail qui a été lancé à l’origine par Julian Assange quand il a créé WikiLeaks. […] Il y a des criminels dans la rue et eux n’ont aucun problème. Son seul crime, c’est d’avoir révélé la vérité, sorti des secrets qu’on essayait de cacher aux citoyens. Dans la charte d’éthique de notre fédération, le premier droit du citoyen c’est d’être bien informé[2]. »

Confirmation par un célèbre journaliste suédois. Arne Ruth a été durant seize ans rédacteur en chef du Dagens Nyheter, le principal quotidien suédois. Il a aussi travaillé six ans au tabloïde Expressen. Aujourd’hui, il estime que les médias suédois occultent systématiquement l’affaire Assange et il a rejoint les rangs du comité qui se bat pour sa libération (...)

Dès le début, les médias suédois ont négligé la couverture de l’affaire Assange. Ils n’ont jamais discuté l’importance de WikiLeaks et parlaient seulement de l’accusation de viol. Alors que cela n’a jamais figuré dans le dossier, la police suédoise s’est dépêchée de rendre cette information publique à peine trois heures après le déclenchement de la procédure. C’était manifestement un coup politique de la procureure.

De même, quand il a été dévoilé que la CIA avait élaboré des plans pour kidnapper, voire assassiner Assange, nos médias ont passé cela sous silence. En Europe, il semble que seule la presse allemande ait soulevé la dimension politique de cette attaque contre le journalisme. Sans doute à cause de l’engagement très fort de Günter Wallraff, une légende du journalisme dans ce pays. (...)

Comment s’organise cette censure qui ne dit pas son nom ? En Grande-Bretagne, c’est très simple. Le gouvernement diffuse régulièrement une DSMA-Notice : une demande officielle adressée aux rédacteurs en chef de ne pas publier des articles sur des sujets spécifiques pour des raisons de « sécurité nationale ». L’avocate Nikitina Georgopoulos a pu établir qu’en Grande-Bretagne l’affaire Assange était placée sous embargo par cette mesure administrative peu connue. De telles procédures existent-elles dans d’autres pays occidentaux ?

En tout cas, on est forcé de s’interroger devant certains silences médiatiques. (...)

Certains médias iront jusqu’à fabriquer leurs propres fake news. (...)

À quoi s’ajoute la censure pratiquée par les principaux médias dits sociaux. Une vidéo de cinquante secondes pour présenter l’affaire Assange ne restera pas plus de trente minutes sur TikTok. Par des algorithmes secrètement manipulés, Twitter et Facebook marginalisent systématiquement Julian Assange ou WikiLeaks, en réduisant au maximum la diffusion d’articles provenant de sources « non approuvées ». Sur YouTube, des vidéoconférences auxquelles participent de grands noms du journalisme d’investigation, du show-biz et de la politique reçoivent – contre toute logique – à peine quelques centaines de vues. Sous prétexte de combattre les fake news, les GAFAM interviennent de plus en plus dans le blocage des informations dérangeantes.

C’est ainsi que l’affaire journalistique la plus importante de notre ère, aux conséquences énormes pour la liberté de la presse, a été réduite à un simple fait divers par… la presse elle-même. Pourtant, WikiLeaks ne devrait pas être escamoté, ni diabolisé, mais énergiquement protégé. Pour commencer, il faut lever les malentendus entretenus sur cette initiative…

Ces lanceurs d’alerte dont nous avons tant besoin (...)

Agissez. Maintenant.

On a tout fait pour isoler Julian Assange. Mais il n’est pas seul. Il est soutenu par tous les journalistes d’investigation (il n’en reste plus beaucoup), par tous les grands lanceurs d’alerte, par toutes les ONG de défense des droits de l’homme et de la presse, et par une multitude de syndicats de journalistes. Cependant, pour le sauver, il va falloir encore beaucoup augmenter ce soutien, déclencher des protestations plus massives. Et peut-être des actions radicales comme le boycott de certains produits britanniques tant que la justice sera bafouée par les autorités de ce pays.

Pour changer le rapport de forces, comment chacun de nous peut-il agir concrètement ? Julian Assange a répondu à cette question. Six mois après le début de son enfermement forcé à l’ambassade d’Équateur, il a dit : « Les gens demandent souvent : “Que puis-je faire ?” La réponse n’est pas si difficile. Apprenez comment le monde fonctionne. Contestez les déclarations, les actions et les objectifs de ceux qui cherchent à nous contrôler derrière les façades de la démocratie et de la monarchie. Unissez-vous dans un but et un principe communs pour concevoir, construire, documenter, financer et défendre. Apprenez. Contestez. Agissez. Maintenant[7]. »

C’est pour nous que Julian Assange se bat. Battons-nous pour lui. (...)

Comme l’a dit Julian Assange quand il a été arraché de l’ambassade d’Équateur et enfermé en isolement : « Tous les autres doivent prendre ma place[8] ! »