
« Qui peut sauver Julian Assange » demandaient Viktor Dedaj et Michel Collon dans la postface du livre « Julian Assange parle » que nous vous proposons ci-dessous. La question reste tristement brûlante alors que le fondateur de WikiLeaks est menacé d’une extradition imminente vers les États-Unis.
Dans « Julian Assange parle », Karen Sharpe a réalisé un magnifique travail pour collecter la pensée du célèbre journaliste australien et nous permettre de découvrir la noblesse de son combat à travers ses propres mots. On se demande alors qui pourra sauver cet homme des forces puissantes qui s’acharnent contre lui. La Justice ? Les médias ? Difficile à croire quand on examine leur attitude jusqu’ici à travers quelques faits peu connus…
A cela nous pouvons ajouter la triste absence de combat mené par la gauche en France pour sauver Assange. Comme si elle ne mesurait pas l’injustice criminelle qui lui est faite ni la gravité du procès politique et de la torture dont il est victime depuis des années maintenant. Cachez ce scandale que je ne saurais voir… serait plutôt la position majoritaire. Alors même que la gauche et certains mouvements se sont nourris des informations divulguées par Assange. Des déclarations sporadiques ne suffisent pas.
C’est un rapport de force continu qu’il faut organiser. (...)
Une Justice nullement impartiale
Commençons par le commencement. Comment est-il possible qu’un journaliste australien, opérant en Europe, se retrouve, à cause de ses activités journalistiques, enfermé en préventive, en Angleterre, dans une prison de haute sécurité et en isolement, dans l’attente d’une extradition vers les États-Unis, un pays dont il n’a jamais été sous la juridiction ? La réponse est simple : c’est un procès politique, une opération punitive. (...)
Le contrôle de la régularité des audiences sera systématiquement entravé. Amnesty International se verra interdire l’accès à la salle (une première en Occident, selon l’organisation). Reporters Sans Frontières aura du mal à accéder aux audiences, même par vidéoconférence. Les liaisons vidéo seront constamment défaillantes, inaudibles et indignes d’un appareil judiciaire moderne. Les avocats de la défense n’auront droit qu’à une demi-heure pour interroger chaque témoin. Ceux du département US de la Justice auront quatre heures. Les documents présentés par la défense seront refusés. Ceux présentés par l’accusation acceptés. Et ainsi de suite.
Ce n’est pas tout. Le témoin clé de l’accusation, l’Islandais Sigurdur Thordarson, escroc récidiviste en cavale, pédophile condamné et psychopathe diagnostiqué, admettra finalement avoir inventé ses accusations en échange d’une immunité du FBI. Il sera d’ailleurs arrêté et incarcéré en Islande dans une prison de haute sécurité (Ô, ironie…). Sachant tout cela, le FBI a continué à utiliser ce faux témoin pour sa campagne de diabolisation d’Assange.
De son côté, la CIA a, sur instructions du gouvernement des États-Unis, préparé des scénarios pour kidnapper, voire assassiner Julian Assange. Elle a aussi espionné et enregistré toutes les conversations privées d’Assange avec ses avocats au sein de l’ambassade d’Équateur où il était réfugié. Cette illégalité aurait dû entraîner la nullité du dossier d’accusation US et donc l’arrêt du procès. (...)
Fabriquer l’ignorance
De toutes ces irrégularités de procédure, de cette parodie de justice, les médias mainstream – à de très rares exceptions près – n’ont pas parlé. Pire, ils ont largement relayé les rumeurs et calomnies fabriquées par une campagne de diabolisation organisée par les services US. Passant sous silence des faits importants qui éclairaient la figure d’Assange sous un tout autre jour. Pourquoi ?
Sous un régime dictatorial, un procès politique peut donner lieu à un procès – spectacle où le coupable sera désigné à la vindicte populaire. Mais dans une démocratie, un procès politique doit se dérouler dans l’ombre, le plus loin possible du regard de l’opinion publique. (...)
En Occident, un procès politique ne peut « réussir » que si l’information occulte tout un pan de la réalité et blanchit les accusateurs.
En fait, il s’agit de fabriquer l’ignorance. (...)
Le pouvoir médiatique s’oppose également à Assange
La faute aux journalistes ? Non, il faut distinguer journalistes et médias. Ce ne sont pas les journalistes qui ont le pouvoir dans l’information. Ce qu’explique bien Anthony Bellanger, secrétaire de la fédération internationale des journalistes (FIJ), qui représente 650 000 journalistes dans le monde et qui défend fermement WikiLeaks. (...)
Certains médias iront jusqu’à fabriquer leurs propres fake news. Le 27 novembre 2018, The Guardian publie un article inventé de toutes pièces selon lequel Julian Assange aurait reçu à l’ambassade d’Équateur plusieurs visites d’un envoyé de Trump, Paul Manafort, et de plusieurs « Russes ». Il n’existe bien sûr aucune trace de telles visites à l’ambassade la plus surveillée au monde à l’époque. Un éditorialiste en vue du même Guardian, James Ball, exprimera cette brillante analyse : « La seule chose qui empêche Julian Assange de sortir de l’ambassade, c’est son orgueil. Il est peu probable que les États-Unis tentent de l’inculper[4]. » (...)
À quoi s’ajoute la censure pratiquée par les principaux médias dits sociaux. Une vidéo de cinquante secondes pour présenter l’affaire Assange ne restera pas plus de trente minutes sur TikTok. Par des algorithmes secrètement manipulés, Twitter et Facebook marginalisent systématiquement Julian Assange ou WikiLeaks, en réduisant au maximum la diffusion d’articles provenant de sources « non approuvées ». (...)
C’est ainsi que l’affaire journalistique la plus importante de notre ère, aux conséquences énormes pour la liberté de la presse, a été réduite à un simple fait divers par… la presse elle-même. (...)
Ces lanceurs d’alerte dont nous avons tant besoin (...)
Face à ce danger que représente l’éclatement de la vérité, la répression a été donc immédiate et à la hauteur de la menace. Les États-Unis prétendent même exercer une « extraterritorialité » pour faire disparaître le journaliste le plus dérangeant du XXIe siècle. Alors, avec leurs complices étatiques, judiciaires et médiatiques, ils sont allés le chercher là où il se trouvait. Annonçant déjà qu’ils iront chercher les autres (tous ceux qui oseront faire leur travail) partout où ils le pourront. En France, par exemple, pays de l’affaire Georges Ibrahim Abdallah, certains seront peut-être un jour surpris d’apprendre jusqu’où s’étend l’ingérence…
En fait, les lanceurs d’alerte sont bien plus nombreux qu’on ne le croit. Mais leurs messages passent très rarement dans les grands médias. (...)
Bref, l’affaire Assange dépasse largement la personne d’Assange. À travers lui, tous les lanceurs d’alerte sont visés. En le sauvant, on protégera donc tous ceux qui auront le courage de nous informer sur les malversations de toutes sortes qui affectent notre société, détournent l’argent des citoyens et entravent la formation d’un monde meilleur. Comme l’a dit Edward Snowden : « Si nous voulons libérer le monde, nous avons à libérer Assange[6]. »
Agissez. Maintenant. (...)
Pour changer le rapport de forces, comment chacun de nous peut-il agir concrètement ? Julian Assange a répondu à cette question. Six mois après le début de son enfermement forcé à l’ambassade d’Équateur, il a dit : « Les gens demandent souvent : “Que puis-je faire ?” La réponse n’est pas si difficile. Apprenez comment le monde fonctionne. Contestez les déclarations, les actions et les objectifs de ceux qui cherchent à nous contrôler derrière les façades de la démocratie et de la monarchie. Unissez-vous dans un but et un principe communs pour concevoir, construire, documenter, financer et défendre. Apprenez. Contestez. Agissez. Maintenant[7]. »
C’est pour nous que Julian Assange se bat. Battons-nous pour lui. Organisez des débats sur toutes les guerres dont WikiLeaks a dévoilé les mensonges, sur tous les assassinats, coups d’État, blocus et agressions économiques, etc. Afin de mieux encore démasquer les mensonges officiels. Invitez-y des signataires de l’Appel qui figurent en tête de ce livre. Traduisez ce livre, des articles ou des vidéos afin que ce combat soit connu en de nombreuses langues. Étudiez les méthodes de diabolisation qui ont été appliquées contre Assange et vérifiez si on les a également employées contre d’autres cibles pour restreindre votre accès à des informations cruciales. Participez aux comités de solidarité dans votre pays ou créez vous-mêmes un comité de base.
Comme l’a dit Julian Assange quand il a été arraché de l’ambassade d’Équateur et enfermé en isolement : « Tous les autres doivent prendre ma place[8] ! »