Quis custodiet ipsos custodes ? L’interrogation du poète antique Juvénal n’a pas pris une ride en ces temps de fièvre sécuritaire. Deux récentes condamnations de « gardiens de la paix » pour des faits de violence à Marseille pourraient constituer un début de réponse. Hélas fort exceptionnelle… (...)
En écho médiatique aux déclarations de la chanteuse Camélia Jordana [1], l’ancien patron de la Fédération autonome des syndicats de police, Jean-Louis Arajol, rappelait le 24 mai dans une tribune au JDD que « si l’emploi de la force publique est légal, il doit être aussi légitime ». Lucide, il ajoutait : « le capital de sympathie du peuple envers les “gardiens de la paix” s’est réduit comme peau de chagrin ». Avant de conclure que « policiers et gendarmes ne doivent pas obéir aux ordres qui sont de nature à compromettre un intérêt public ». Bel effort ! Mais nous n’avons là qu’une variante originale de la défense des flics violents. À savoir le rejet de la faute sur les donneurs d’ordre : hauts fonctionnaires et politiciens. Un refrain syndical bien plus classique présente l’institution policière comme étant l’administration la plus républicaine, la plus contrôlée et la plus sanctionnée du pays.
En vérité, l’impunité règne. Et les deux récentes condamnations survenues à Marseille ne sont que l’exception qui confirme la règle.
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Membres du syndicat Alliance, dont ils avaient « oublié » un stylo couvert de leur ADN sur les lieux du délit, ils ont été laissés libres dans l’attente d’un nouveau jugement en appel. Dans la seconde affaire, Michel Provenzano et Mathieu Coelho, membres d’une unité de CRS autoroutière, mis en cause pour des faits de séquestration et violences à l’encontre de Jamshed, réfugié afghan de 27 ans, se sont vu infliger, en comparution immédiate le 6 mai, des peines de quatre ans et dix-huit mois ferme assorties d’un mandat de dépôt [2].
L’alignement des planètes
Comment expliquer cette soudaine sévérité alors que d’habitude le poulet est blanchi par ses juges ? Comme le souligne le collectif Angles morts, « un ensemble de constantes se dégage et caractérise les affaires de crimes policiers, ce qui donne un caractère systémique à la violence d’État ». [3] Parmi les éléments qui permettent aux brutes assermentées de dormir tranquille, il y a le profil-type des victimes – des personnes non blanches dont le supposé passé de délinquants est souvent évoqué via la formule floue « bien connu des services de police ». Ce à quoi il faut ajouter une procédure extrêmement longue. Et le fait que la plupart du temps, les nervis du ministère de l’Intérieur s’arrangent pour éviter de cogner devant témoins. Parole contre parole, c’est toujours la police qui gagne ! Et la justice qui perd…
Mais avec la prolifération des images captées dans l’espace public, y compris celles des réseaux de vidéosurveillance, cela s’avère de plus en plus compliqué.
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Et maintenant ? Le contrôle de l’activité policière demeure très défaillant et les condés des justiciables pas comme les autres. On est toujours dans l’ignorance du nombre de condamnations pour violences policières. En 2018, l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), « la police des polices », a cédé sur le recensement des personnes tuées (14 selon les bœufs-carottes) et blessées (une centaine) lors d’opérations policières depuis juillet 2017. Mais le boulot avait déjà été commencé par des journalistes en 2014 [4]. Certains spécialistes de la maison poulaga avancent que les violences policières constitueraient 5 % des sanctions disciplinaires contre des policiers (du blâme jusqu’à la très rare révocation). Sans plus de précision. La place Beauvau préfère communiquer sur les radiations pour radicalisation islamiste.
Pour d’autres, la dissolution de l’IGPN au profit d’une autorité réellement indépendante du ministère de l’Intérieur et du pouvoir exécutif serait la seule solution pour s’approcher de l’idéal d’un État de droit.
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Une réforme jugée, en France, aussi impensable que l’abolition de l’État
"Je suis inquiet de ces mouvements de policiers qui, pour un certain nombre d’entre eux, ont sans doute un agenda politique qui n’a pas grand chose à voir avec la paix qu’ils sont censés « garder », mais plutôt avec un Ordre qui n’aurait plus grand chose de républicain." #Bataclan https://t.co/YQGf3wS7kp
— Eric Fassin (@EricFassin) June 27, 2020