
Voici une lettre adressée par des membres de l’Église orthodoxe aux fidèles réunis à l’occasion du Congrès des Églises protestantes qui se tient ces jours-ci à Stuttgart. Même si ce courrier n’est pas représentatif de l’Église orthodoxe dans son ensemble, et en particulier de sa hiérarchie, il témoigne d’une initiative d’une grande importance à travers sa dénonciation d’un point de vue éthique des politiques d’austérité infligées au peuple grec depuis ces derniers années.
Nous nous adressons à travers cette lettre à tous ceux et toutes celles qui participent au Congrès des Églises protestantes de 2015 (à Stuttgart), et à toutes les personnes inquiètes par la crise économique et ses conséquences dramatiques pour des larges parties de la population en Grèce. Nous recherchons le dialogue pour nous opposer ensemble à la propagande et aux humiliations des hommes et des femmes dans notre pays ainsi qu’à l’égard du gouvernement nouvellement élu, et pour faire la promotion d’une approche médiatique de la Grèce et sa politique qui soit orientée vers la justice et le bien commun.
« Den andechoume allo ! ... Nous ne pouvons plus supporter ! » Sur fond d’un grand désespoir, la population de Grèce a exprimé un NON décidé à la politique du gouvernement sortant et aux conditions imposées par le Fonds monétaire international (FMI), les banques et les organes de l’Union européenne. L’alliance gouvernementale actuelle jouit jusqu’à aujourd’hui d’un soutien inhabituellement large dans la population.
« Peut-on vraiment faire confiance à ce nouveau gouvernement, inexpérimenté et de gauche ? », nous demande-t-on à répétition. « Que s’est-il passé chez vous en Grèce, pour qu’on arrive à une telle crise humanitaire ? » Nous souhaitons fournir quelques éléments de réponse à ces questions.
Nous partons du constat que cette crise est le produit d’un capitalisme agissant brutalement à l’échelle mondiale, dont les principes suprêmes sont l’appât du gain et l’exploitation des humains et de la création. Les droits humains, le bien commun, la sauvegarde de la nature et la paix ne font pas partie de cette conception. Le capitalisme est un système économique malfaiteur et qui relève du sacrilège, qui agit au détriment de l’homme, de la nature, de la société et de l’État, un système répandant de plus en plus de violence.(...)
Ensemble avec des femmes et des hommes issus de la théologie et de l’engagement chrétien, nous en appelons énergiquement à toutes les Églises de « mettre la main dans la roue pour arrêter sa marche » (selon les mots du pasteur Bonhoeffer). A côté de l’engagement charitable, des « soins procurés aux victimes écrasées par la roue », elles doivent aussi redécouvrir leur tâche prophétique, et à l’instar des prophètes de l’Ancien Testament, elles doivent aussi dénoncer aujourd’hui les pratiques injustes des puissants au profit d’une petite minorité. Des hommes et de femmes de foi chrétienne doivent trouver leur place aux côtés des exploités, de ceux et de celles qui souffrent !(...)
Nous sommes témoins d’initiatives venant d’Allemagne, agissant passionnément et énergiquement pour la réconciliation et pour faire guérir les plaies anciennes. Nous accusons cependant le gouvernement allemand, du fait qu’il effectue toujours des contorsions et des manœuvres pour échapper à toute clarification morale et juridique. Nous critiquons le fait que, suite au discours du président fédéral allemand Joachim Gaucke – évoquant une indemnisation – et de la chancelière Angela Merkel, marquant vaguement son accord, le porte-parole du gouvernement fédéral ait ensuite tout ramené dans le flou. Ce traitement fait mal, surtout à ceux et celles qui ont vécu ces atrocités, eux-mêmes ou à travers leurs familles ! Cette clarification empêchée empoisonne le climat entre les habitant-e-s de nos deux pays. Le nouveau gouvernement grec est le premier à aborder la question des dettes de la Seconde guerre mondiale de façon publique, entre autres à travers une commission parlementaire, et qui veut contribuer à ce que les faits historiques soient enfin mus sur la table.(...)
Nous ressentons certains propos politiques et médiatiques comme arrogants et inappropriés, lorsque la dette élevée de notre pays est pointée avec un index brandi dans l’air. Il faut cesser de suggérer à la population allemande que ce seraient les hommes et les femmes en Grèce qui seraient seuls responsables de la dette grecque, parce qu’ils auraient vécu au-dessus de leurs moyens. Oui, de nombreuses personnes ont ici vécu avec des crédits, avec des gains spéculatifs réalisés en Bourse et avec des subventions. Nombre de personnes se sont laissées happer par une consommation frénétique. Mais, d’une part, ce n’est guère le cas des gens « simples » et de la majeure partie de la population. D’autre part et surtout, une telle avidité est bel et bien une partie intégrante du système économique dominant et de sa folle recherche de croissance.
Nous observons que la politique d’Austérité, menée partout - conjointement avec l’union monétaire de l’euro -, suscite des excédants d’exportation dans une poignée de pays riches et de l’endettement dans les pays plus pauvres du Sud de l’Europe.(...)
Nous soutenons l’idée d’un audit de la dette, comme la « commission de vérité » du parlement grec (www.GreekDebtTruthCommission.org) est en train de le mener. Nous plaidons pour une conférence internationale sur la dette grecque, comparable avec la Conférence de Londres sur les dettes de 1953 lors de laquelle une majeure partie de la dette allemande a été effacée. La Grèce a alors signé l’accord résultant de cette conférence, et ainsi contribué au désendettement de l’Allemagne fédérale d’après-guerre. De cette façon, tous les signataires ont permis à l’Allemagne largement détruite de prendre un nouveau départ.(...)
Une politique fondée sur les inégalités prépare le terrain du nationalisme et du fascisme. Nous entendons évoquer des manifestations importantes en Allemagne, dirigée contre « l’islam », contre les étrangers et les réfugiés. Dans notre pays, nous sommes très inquiets et inquiètes sur la croissance du parti fasciste, qui constitue actuellement la troisième force au parlement grec et compte aussi des sympathisants dans les rangs de la police, de l’armée et aussi dans ceux de l’Église orthodoxe. Depuis la Seconde guerre mondiale, ces forces, qui ont collaboré avec les nazis, ont systématiquement construit leurs structures, et elles les ont bétonnées pendant les années de la dictature militaire de 1967 à 1974. Mais elles ont été aussi tissé des réseaux avec des forces fascistes en Allemagne. En conséquence, nous devons rester vigilant-e-s et décidé-e-s à démasquer et combattre tous les agissements antidémocratiques, toujours d’actualité, et réclamer encore et encore une culture démocratique ainsi que le respect de la dignité humaine de tous et de toutes.(...)
Ce nouveau gouvernement ne peut agir qu’avec la participation active de la société civile et avec son soutien, en revenant sans cesse vers celle-ci, pour construire avec succès une société plus juste et solidaire en Grèce. L’essentiel des mesures que ce nouveau gouvernement a entreprises dans les premières semaines après sa formation ont visé à la satisfaction de besoins sociaux élémentaires et à la diminution de la détresse la plus extrême. Un gouvernement qui se serait revendiqué de principes chrétiens, dont l’amour du prochain, n’aurait guère agi différemment. Mais nous sommes témoins de la façon dont les bailleurs de fonds – Union européenne et FMI – augmentent toujours plus la pression énorme qui pèse sur le gouvernement et sur la société, en vue de continuer la politique de la Troïka (dont l’échec est patent) à travers des nouvelles baisses des retraites, une nouvelle augmentation de la TVA et de nouvelles privatisations. Ainsi, en même temps, les efforts pour tendre vers la justice sociale sont détruits, et la petite fleur de l’espoir porté sur un élan démocratique est écrasée.(...)
Même si des représentants de l’Église orthodoxe ont souvent pactisé avec les élites conservatrices, il y a néanmoins dans cette Église et dans son milieu des personnes de conviction démocratique et socialiste. La Faculté théologique de l’Université de Thessalonique a organisé, en janvier 2013, une grande conférence ayant pour sujet : « L’Église et la gauche. » Presque la moitié des membres du Synode sacré de l’Église orthodoxe y a participé. Ayant à l’esprit qu’une « politique capitaliste tue » |1|, des initiatives chrétiennes rencontrent bon nombre de celles de la société civile.
Il nous tient à cœur de soutenir ces initiatives et de les coordonner, aussi au-delà de nos frontières. C’est pour cela que nous vous adressons notre lettre.(...)