
Face au mouvement contre la réforme des retraites, le gouvernement reste inflexible : le texte de loi sera bien présenté ce 24 janvier en conseil des ministres. Mais de nombreux citoyens sont décidés à poursuivre la lutte. A Rennes, les parents d’élèves ont décidé de soutenir les enseignants grévistes en occupant des écoles.
« Le mouvement ne s’essouffle pas. Il se renouvelle. » Parole d’enseignant, gréviste depuis plusieurs semaines. « Un exemple ? Les occupations d’écoles, collèges et lycées par les parents d’élèves. » Lancés début janvier, ces mouvements d’occupation se multiplient. Objectif : soutenir les enseignants, marquer le territoire par des lieux de résistance contre la réforme des retraites, continuer à faire collectif pour échanger, s’informer, inventer une autre forme de société.
Encore possible de gagner, tant le nombre de personnes concernées est élevé (...)
une agente territoriale de la ville venue en soutien affirme qu’« il ne faut pas absolument pas lâcher sur les retraites. Parce que derrière, cela va être un vrai carnage. On risque d’assister au détricotage de toute la société, avec la suppression de la sécurité sociale. C’est tout notre univers qui s’écroule. Celui que nos parents et nos grands parents ont construit. » « Il faut partager le travail plutôt que travailler plus longtemps, pense Anne-Cécile, parent d’élève, fonctionnaire, et gréviste tous les jeudis depuis début décembre. Si on payait les femmes autant que les hommes, les caisses seraient vite remplies. Il n’y aurait plus de déficit du régime de retraite. » L’assemblée approuve. « On a élu un homme du secteur bancaire par dépit. Qu’ils arrêtent de dire qu’ils appliquent le programme pour lequel ils ont été élus ! », lance un autre parent. (...)
« Se mobiliser au sein de l’école du quartier, c’est une façon concrète de prendre part au mouvement », dit Sébastien, père de famille. Salarié dans le privé, aux côtés de collègues qui pour certains pensent que la réforme des retraites est nécessaire, Sébastien ne peut pas faire grève. « Chez nous, cela ne se fait pas, c’est comme ça. On est coincés », dit-il. Quentin, parent d’élève et précaire dans l’enseignement supérieur approuve. « Ce n’est pas toujours possible de se mobiliser sur son lieu de travail. L’école de mon enfant, cela me touche aussi directement. C’est l’avenir. » (...)
« On dépasse les discussions sur les retraites pour discuter de quelle société on veut »
Habituée à se mobiliser, Nolwenn trouve que ce mouvement contre la réforme des retraites a quelque chose d’unique, sans doute à cause de la violence et de l’universalité de l’attaque. « Les AG interprofessionnelles permettent que tout le monde puisse venir. J’ai rencontré des gens qui ne se mobilisent pas d’habitude », remarque-t-elle. Dans les centres sociaux, plusieurs AG éducation se sont tenues, souvent très remplies. Les syndicats, qui proposent un soutien logistique, de savoir-faire, ou de contacts presse par exemple, se tiennent en retrait. Le souhait étant d’ouvrir un maximum, et de laisser chacun et chacune venir avec ce qu’il ou elle est. « Nous trois, on est chacun dans un syndicat différent. Et là, on travaille tellement bien ensemble. On se sent soudés », explique Hélène, enseignante, avec deux parents d’élèves.
« Avec toutes les AG qui ont eu lieu, on prend le temps de s’écouter, de discuter, de se retrouver. Assez vite, on dépasse les discussions sur les retraites pour discuter de quelle société on veut. On découvre qu’on est tous anticapitalistes, en fait. » Leur cheminement ressemble à celui des gilets jaunes. Mobilisés en premier lieu contre l’augmentation du prix des carburants, ces derniers ont assez vite orienté leur mouvement vers des revendications de justice sociale et écologique.
« Pour les mères célibataires, tout est toujours plus dur. Elles comptent leurs jours de grève » (...)
Mais si la grève peine à s’installer dans la durée, ce n’est pas forcément à cause des problèmes d’argent, ou pas seulement. Les enseignants sont aussi rattrapés par leur conscience professionnelle. (...)
Voir les élèves trois jours par semaine, ce n’est pas assez. Faire sauter des sorties organisées depuis longtemps, très attendues par les enfants, est difficile. « L’engagement professionnel, dans le premier degré, est très fort, insiste Fabien. C’est un frein évident pour une grève longue. C’est d’autant plus vrai en REP+, où les élèves ont vraiment besoin de nous. » Mardi dernier, alors qu’il était en grève, Fabien est allé à l’école car il y avait une réunion importante pour l’un de ses élèves en grandes difficultés.
« Ce qu’il faut, c’est multiplier les lieux d’échange »
« On est engagés dans un mouvement long », précise Fabien. « On cherche comment tenir le plus longtemps possible », ajoute Sami. « La solidarité peut nous aider, pense une mère d’élève. Cela manque trop souvent. Que chacun se sente concerné par la lutte que mène son voisin, ou l’enseignant de ses enfants. » « Ce qu’il faut, c’est multiplier les lieux d’échange », estime Quentin. « C’est une manière d’entretenir la révolte, de la rendre plus générale », ajoute une enseignante. « Je dis à tous les parents motivés qu’on peut gagner, reprend Hélène. Mais il faut que les docks et les raffineries s’y mettent. Parce que nous, nous ne pouvons pas, comme eux, bloquer le pays. »
Depuis mercredi, justement, tous les ports sont bloqués. « Pas un bateau ne rentre ni ne sort. On ne décharge rien. Il n’y a pas un container qui va être vidé. Et les ferries ne voyageront pas non plus », avertit Karl, docker à Saint-Nazaire. Jeudi 23, de nombreuses retraites aux flambeaux ont été organisées partout en France. De grandes coupures d’électricité ont été orchestrées par les salariés du secteur de l’énergie, notamment en région parisienne. Ailleurs, des actions de blocage, des concerts, des soirées festives égrènent chaque jour la longue lutte contre la réforme des retraites, et pour un monde plus juste. Pour le moment, une majorité des Français continue à soutenir le mouvement.