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Quand la loi paralyse les paysans… au-delà de son contenu
#Upov #semences
Article mis en ligne le 23 octobre 2022

Les règles de l’Union pour la protection des obtentions végétales (Upov) sont adoptées par de plus en plus d’États, notamment à l’occasion de la signature d’accords de libre échange. Des chercheurs se sont penchés sur les restrictions qu’impliquent de telles règles. Et ils montrent que, prudents, les paysans s’auto-limitent davantage sur l’utilisation de leurs semences que ce que la loi leur permettrait. Explications*.

L’Union européenne négocie régulièrement des accords de libre échange avec différents pays [1]. Dernier en date : celui avec l’Indonésie. La signature de tels accords s’accompagne de l’intégration de certaines règles internationales, notamment ici de celles de l’Upov et celles du Catalogue des variétés dont les semences peuvent être commercialisées. Si l’Upov n’évoque ni n’impose elle-même le Catalogue et/ou la certification des semences, son application ne se conçoit pas sans l’adoption d’une législation nationale de commercialisation des semences les rendant obligatoires.
L’Upov contre les paysans ?

Conçues officiellement au départ pour éviter aux paysans d’acheter des semences défectueuses, les règles d’inscription obligatoire au Catalogue ne sont pas inscrites dans les diverses conventions de l’Upov. Elles reprennent par contre les standards d’identification de variétés distinctes, homogènes et stables définis par l’Upov. Ne peuvent ainsi être enregistrées au Catalogue que les variétés pouvant être couvertes par ce droit de propriété industrielle, au profit des seules entreprises semencières. Et au détriment des paysans qui sélectionnent et maintiennent des semences diversifiées et capables d’évoluer pour s’adapter à la diversité des conditions de culture : ces semences paysannes diversifiées n’ont, du coup, pas accès au Catalogue. (...)

La dernière version de l’Upov, adoptée en 1991 et actuellement en vigueur pour tous les nouveaux États membres de l’Upov (voir encadré 1), stipule qu’une « variété essentiellement dérivée » (VED) de la variété initiale est également couverte par le même droit d’obtention. Conséquence : un paysan qui sélectionne dans son champ ses propres semences issues d’une variété protégée par adaptations successives à ses propres conditions de culture peut se voir poursuivi pour contrefaçon.
Seuls 78 pays (sur 197) sont membres de l’Upov
(...)

Saurav Ghimire, un chercheur du Centre For Private and Economic Law, de la Vrije Universiteit de Bruxelles (Centre de droit privé et économique – VUB), vient de publier une étude sur les conséquences de l’application des règles de l’Upov [6]. À partir, notamment, du cas indonésien, il montre que les paysans s’auto-limitent dans la multiplication au champ de leurs propres semences, de peur de poursuites pénales, bien au-delà des restrictions imposées par l’Upov. C’est ce qu’on nomme depuis quelques années « l’effet paralysant » (« chilling effect » en anglais) [7]. Et il propose quelques pistes pour en sortir. (...)

La violation du droit d’obtenteur est passible d’une peine d’emprisonnement de sept ans maximum et d’une amende allant jusqu’à 2,5 milliards de roupies (près de 170 000 euros). Une quinzaine de cas de « criminalisation des activités des agriculteurs liées aux semences » ont été relevés par le Comité indonésien des droits de l’homme pour la justice sociale, une organisation non gouvernementale [11]. La plupart des agriculteurs ont été condamnés pour avoir distribué et commercialisé des semences sans autorisation, et collecté illégalement des ressources végétales sans autorisation, délits, eux, punis par une autre loi, celle sur la certification des semences.
En 2013, la Cour constitutionnelle d’Indonésie a ordonné de reformuler certaines dispositions de cette loi. Son but : exempter les petits agriculteurs d’un certain nombre d’obligations (permis de recherche et de collecte de ressources végétales pour la sélection végétale et permis de diffusion). Ce qui a été fait dans une nouvelle loi de septembre 2019 sur le système de culture agricole durable. La loi oblige désormais les petits paysans qui collectent des ressources génétiques de se faire connaître auprès des gouvernements local et central. Les variétés issues de la sélection des paysans ne peuvent être distribuées qu’au sein de leur propre groupe, sans que le terme de « groupe » soit toutefois clairement défini. Les petits paysans qui distribuent des semences non certifiées encourent dorénavant une sanction pénale avec une peine de prison allant de quatre à six ans [12]. L’auteur a relevé encore des poursuites contre un agriculteur qui avait vendu des semences non certifiées en août 2019 (soit avant la promulgation de la loi qui modifie la loi sur la certification des semences)... (...)

En finir avec l’effet paralysant

Afin de diminuer cet effet paralysant, les suggestions de l’auteur sont nombreuses. Globalement, il propose que l’État clarifie et précise ses lois en les complétant pour aller vers une incitation positive à la création de nouvelles variétés. (...)

Pour justifier l’utilisation de la doctrine de l’effet paralysant dans le domaine des semences, l’auteur fait un détour sur les autres domaines où cet effet a été reconnu… puis contré par la loi. C’est le cas des États-Unis, où la doctrine de l’effet paralysant est principalement utilisée dans des affaires liées à la liberté d’expression [18]. Elle sert alors à invalider les réglementations censurant l’expression si ces dernières dissuadent ou paralysent également une expression légitime. Droits de l’Homme, avortement, droit d’auteur... ont également été concernés par cette doctrine [19]. Alors, pourquoi pas le droit des paysans à produire leurs propres semences ? (...)

Interrogé par Inf’OGM sur la manière dont cet effet paralysant est vécu par les paysans, Guy Kastler, de la Confédération paysanne, reconnaît qu’" il est abusivement instrumentalisé par l’industrie semencière et malheureusement aussi par les services gouvernementaux au point que de nombreux paysans se privent souvent de pratiques que rien n’interdit, comme accéder aux ressources phytogénétiques des collections publiques ou commercialisées comme variétés amateurs, sélectionner leurs propres semences, les multiplier, les échanger avec leurs collègues... (...)