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Non-Fiction
Quand l’éducation nouvelle révolutionnait l’école
Article mis en ligne le 7 septembre 2017
dernière modification le 4 septembre 2017

Après la Première guerre mondiale, Célestin Freinet et le mouvement de l’éducation nouvelle ont tenté de réhabiliter l’expérience sensorielle et existentielle de l’enfance. Le documentaire Révolution école. 1918-1939 (Les films du poisson, 2016), réalisé par Johanna Grudzinska, en retrace la naissance, les espoirs et la fin triste et sombre dans les affres du totalitarisme.

En un chœur monotone, des enfants répètent après leur maître. « La France est ma patrie. Je l’aime comme mon père et ma mère. Afin de lui prouver mon amour, je veux maintenant être un enfant laborieux et sage, pour être, quand je serai grand, un bon et un brave soldat ». Les enfants qui ont récité cette leçon de patriotisme sont morts sur le champ de bataille, à peine adultes.

C’est sur ce constat de l’échec de l’école républicaine à faire œuvre de civilisation que s’ouvre le documentaire Révolution école de Joanna Grudzinska. On y assiste, dans les lendemains désenchantés de la Première Guerre mondiale, au développement, dans un monde nouveau, du projet d’une éducation nouvelle. Sur fond d’années folles, de naissance de l’URSS et de montée du fascisme, la Ligue internationale de l’éducation nouvelle (LIEN). Mais les années 30 assistent, dans l’impuissance générale, à l’effondrement des illusions, sur fond de montée des nationalismes, de renforcement des fascismes et d’expansion nazie.

Le film se referme sur la déportation des enfants de l’orphelinat de Janusz Korczak, piégés dans le ghetto de Varsovie et l’internement de Célestin Freinet. (...)

Emporté dans l’enthousiasme de la réunion inaugurale de Calais en 1921, le spectateur est invité à participer, de tous ses sens, à la joyeuse aventure d’une redécouverte de l’humanité à partir d’une réhabilitation sensorielle et existentielle de l’enfance. Mais c’est bien l’amertume, et une indépassable mélancolie, qui dominent les dernières minutes du documentaire. Impuissants, les pédagogues assistent au détournement, au service d’idéologies totalitaires, du projet spirituel et social de création d’une humanité nouvelle. (...)

Je voulais faire un film engagé. Pas un film militant, mais un film engagé dans le sens où il engage le spectateur dans une expérience, celle de l’éducation nouvelle, en faisant appel à ses sens, à sa subjectivité.
Il y a eu un gros travail avec l’université de Genève et son département de sciences de l’éducation. Je me suis rendue compte qu’on est moins internationaliste, en France, que les autres pays. Le film a moins tourné en France qu’en Europe. C’est une forme de chauvinisme. On a du mal, en France, à penser l’école en dehors du modèle républicain. En France, on est moins libéraux. L’éducation nouvelle, c’est un mouvement libéral. L’éducation nouvelle, c’est Vertigo de Hitchcock, c’est des questions, des remises en question en permanence. Le vitalisme est quelque chose de fort dans le mouvement de l’éducation nouvelle. L’énergie vitale, c’est une notion flottante, qui n’est pas beaucoup prise en compte. Le biologique, le corps, le désir, la chimie intérieure, les dispositions naturelles. C’est des choses qui sont difficiles à dire, bien qu’elles relèvent de l’évidence. Il y a comme une recherche de la souffrance, dans le travail, dans l’apprentissage.

NF : Alors la genèse du film, c’était quoi ?
JG : Au départ, mon intention était de faire un film sur un lycée autogéré. Mais finalement, en se renseignant, avec l’équipe du film, on s’est rendu compte que l’histoire de l’éducation nouvelle est une histoire transnationale, méconnue, passée sous silence, avec pourtant des archives extraordinaires. On a eu envie de rendre connu cet inconnu. L’éducation nouvelle, on en est tous les héritiers et pourtant, c’est un héritage qui n’existe pas. Et moi, c’est quelque chose dans lequel je me reconnais, car mon propre héritage juif, en Pologne communiste, était passé sous silence.

NF : Votre documentaire porte une grande attention au contexte historique, pour replacer l’histoire de l’éducation nouvelle dans une histoire du XXè s.
JG : C’est un film d’histoire politique : quels sont les rapports entre la politique et l’éducation dans l’entre-deux-guerres. Une éducation n’est jamais neutre. Les méthodes d’éducation sont toujours sujettes à la récupération. L’éducation éduque à une certaine société. L’éducation est un étendard. (...)

Le bien-être, c’est incontrôlable, ingérable, non quantifiable. C’est pour ça que les sociétés le refusent. J’ai rencontré la famille de Ferrière à Genève, j’ai adoré. C’est une expérience de vie, l’éducation nouvelle. Elle propose une culture de son propre jardin, comme baume réparateur, dans un monde de misère, d’injustice, dans un monde en ruine. Certes, on est retourné en guerre en 39, mais c’est un échec du pacifisme. Le pacifisme est encore aujourd’hui en échec dans notre société. Mais les mecs de Daesh sont drogués. Le pacifisme, c’est dans la nature de l’homme. Moi je crois qu’on avance par cycle, pas au sens où on retourne toujours au même point, mais au sens où on ne revient jamais au point de départ. (...)