
Dans la Roya, vallée des Alpes-Maritimes voisine de l’Italie, la police tente, souvent au mépris du droit ou brutalement, d’arrêter les exilés qui ont passé la frontière. Mais certains fonctionnaires refusent d’endosser le mauvais rôle. Récits.
Un soir du mois d’août, dans un bar de Breil-sur-Roya, dans les Alpes-Maritimes (06). Cédric Herrou, paysan et militant bien connu des droits des exilés, raconte une histoire de flics, mais pas celle qu’on pourrait imaginer. En 2017, il doit se rendre au tribunal de Nice mais, problème : une exilée adolescente se trouve au camp, paniquée. Il ne souhaite pas la laisser seule. « Je me suis décidé à descendre avec elle pour la mettre à l’abri sur Nice. Au péage de la Turbie, la police me contrôle et me demande d’ouvrir le coffre. La gamine était derrière, cachée avec des couvertures. » Moment de panique :
« Dans le rétro intérieur, je vois ce qui se passe à l’arrière. Le flic ouvre le coffre, et il la voit. Il reste quelques secondes à la regarder. Il referme la porte, je me dis que c’est foutu. Mais il vient vers moi, et me dit : “C’est bon, vous pouvez y aller…” »
L’anecdote tranche avec la situation dans ce département frontalier traversé quotidiennement par des exilés venus d’Italie. La police lutte activement contre « l’immigration irrégulière ». Une intense chasse aux sans-papiers qui se fait très souvent au mépris du droit, ce qui a valu à la France plusieurs condamnations (1). (...)
Un soir du mois d’août, dans un bar de Breil-sur-Roya, dans les Alpes-Maritimes (06). Cédric Herrou, paysan et militant bien connu des droits des exilés, raconte une histoire de flics, mais pas celle qu’on pourrait imaginer. En 2017, il doit se rendre au tribunal de Nice mais, problème : une exilée adolescente se trouve au camp, paniquée. Il ne souhaite pas la laisser seule. « Je me suis décidé à descendre avec elle pour la mettre à l’abri sur Nice. Au péage de la Turbie, la police me contrôle et me demande d’ouvrir le coffre. La gamine était derrière, cachée avec des couvertures. » Moment de panique :
« Dans le rétro intérieur, je vois ce qui se passe à l’arrière. Le flic ouvre le coffre, et il la voit. Il reste quelques secondes à la regarder. Il referme la porte, je me dis que c’est foutu. Mais il vient vers moi, et me dit : “C’est bon, vous pouvez y aller…” »
L’anecdote tranche avec la situation dans ce département frontalier traversé quotidiennement par des exilés venus d’Italie. La police lutte activement contre « l’immigration irrégulière ». Une intense chasse aux sans-papiers qui se fait très souvent au mépris du droit, ce qui a valu à la France plusieurs condamnations (1). (...)
Cédric Herrou connaît bien la police. Depuis 2016, il a ainsi subi plus d’une dizaine de gardes à vue et de nombreux procès. Le moins qu’on puisse dire, c’est que les bleus l’ont à l’œil. Une camionnette de police a longtemps stationné aux abords de chez lui et de son terrain d’éleveur devenu le CCH, le « Camping Cédric Herrou » (2). Un lieu qui accueillait des centaines de personnes. Si les relations sont parfois tendues avec les forces de l’ordre, il lui est aussi arrivé de recevoir des marques de bienveillance et d’empathie de leur part. C’est d’ailleurs Cédric Herrou qui a suggéré de consacrer un article à ces soutiens discrets (...)
« Ça m’est arrivé plus de fois que les flics m’arrêtent et me laissent partir, que de me faire mettre en garde à vue. Et pourtant, j’en ai fait beaucoup. » (...)
« Généralement, on est moqués, insultés ». Mais cette fois, alors qu’ils sont en poste avec une amie militante, « un des gars de la Paf [police aux frontières] vient nous voir. Il nous dit que c’est bien de faire ce qu’on fait », puis leur demande s’ils vont rester toute la nuit. Ils lui répondent que oui :
« Résultat, le lendemain matin, il est venu nous amener des croissants ! »
Autant d’actes anonymes qui sont difficiles à renseigner. Le sujet reste tabou, surtout dans les rangs de la police. (...)
La policière qui héberge les exilés (...)
« Ça enrichit ma vision des choses dans le cadre de mon travail », dit-elle. Compliqué pour elle de parler. Mais, après de nombreuses rencontres, elle accepte de laisser lancer l’enregistreur. « Respecter la loi, c’est mon boulot. Il y a toujours la possibilité de dire : “Non, ça, je ne le ferais pas, ce n’est pas mon taf”, et de ne pas appliquer les ordres », dit-elle en sirotant son verre. (...)
« L’accueil des personnes qui sont en situation d’exil, avec un parcours souvent traumatique, ça fait partie de l’aide aux personnes vulnérables. C’est totalement le travail d’un flic. Je ne comprends pas qu’il y ait autant de flicards qui se mettent en porte-à-faux avec la loi. » (...)
« Il y a des soirs où je pleure. C’est violent, tout ce qu’ils ont traversé… » (...)
Ses collègues sont-ils au courant qu’elle héberge des gens chez elle ? « Oui. Je me fais beaucoup tailler là-dessus. » Mais, affirme-t-elle, « petite victoire dans mon travail, il y a quand même un contre-courant qui s’est installé. Les autres font attention à ce qu’ils disent quand je suis là ». Une sorte de respect mutuel s’est instauré. Elle ne serait pas la seule fonctionnaire de police du coin à offrir le gîte à des exilés (...)
La politique du chiffre
Sacha raconte être entrée dans la police afin « d’aider les personnes les plus vulnérables et d’arrêter les bandits ». Au début, tout allait bien, « j’ai fait un an de police de proximité ». Puis, « il y a eu Sarkozy au ministère de l’Intérieur, et là, ça a bien dérapé en matière de chiffres, de chasse à l’homme, au migrant… » Elle se rappelle des consignes de prise de service, « où il fallait déloger des mecs qui étaient là depuis 20 ans, 30 ans… » Elle soupire, grimace un peu. Mais, insiste-t-elle, « je n’ai jamais fait ça. Je n’aurais pas pu. J’étais plutôt dans l’esquive au début. Puis je l’ai très vite fait directement, en expliquant que je n’étais pas rentrée dans la police pour ça. Je n’ai pas été la seule ». Elle affirme ne jamais avoir été « emmerdée » suite à ces refus, « en tout cas, pas à l’époque. Maintenant, c’est plus compliqué ». Par contre, oui, ajoute-t-elle, elle a été « placardisée ».
La fonctionnaire condamne sans détour le comportement de certains de ses collègues. « Les migrants, c’est à gerber, cette façon dont la police les traite. Ce truc de lacérer les tentes… C’est tout le contraire du code de déontologie. Je ne me reconnais pas là-dedans. » Mais pour Sacha, il faut se garder des généralités (...)
Des relations apaisées
Si les relations entre les policiers et l’association Emmaüs-Roya sont compliquées dans la vallée de la Roya, celles avec les gendarmes du village se sont apaisées. « On leur a prouvé à l’époque que ce qu’ils faisaient était illégal », rembobine Cédric Hérou. Ils ont changé leurs méthodes. Un protocole commun pour l’accès à la demande d’asile a même été mis en place. (...)