« L’attirance des femmes pour des hommes plus grands est un phénomène bien documenté », appuie le sociologue Jean-François Amadieu, notamment auteur de La société du paraître. Sauf que ce goût marqué pour les grands gabarits ne sort pas de nulle part et n’est pas restreint au champ de la séduction hétérosexuelle.
Il montre à quel point « la question de la haute stature est une obsession et une maladie du social » qui traverse les sexes, révèle Priscille Touraille, chercheuse au CNRS et autrice de l’ouvrage Hommes grands, femmes petites : une évolution coûteuse. (...)
La prime à la grandeur
La grandeur physique est loin d’être une caractéristique hors sol se réduisant uniquement à la dimension en hauteur du corps humain. C’est une donnée certes corporelle, mais aussi éminemment sociale. La stature a un lien avec la position d’encadrement, les revenus et la réussite professionnelle. « Le statut social est corrélé à la taille ; les cadres sont plus grands que les ouvriers », indique Jean-François Amadieu. Chez les hommes comme les femmes.
En moyenne, d’après une étude menée dans dix pays européens, les hommes plus qualifiés étaient plus grands que ceux moins qualifiés (1,6 à 3 centimètres de plus) ; idem pour les femmes (1,2 à 2,2 centimètres de différence). Et ce n’est pas seulement en raison de l’homogamie sociale, qui ferait que les grand·es cadres se marient avec des gens issus de leur milieu et ont de grand·es enfants qui deviendront aussi cadres, reproduisant de la sorte les inégalités sociales ainsi que de taille.
Les hommes grands sont aussi perçus comme plus compétents et faisant autorité. (...)
Plus on considère que les grands ont de la valeur, plus les postes à responsabilités leur seront ouverts. Et plus ils seront nombreux à avoir accès à des responsabilités, plus cela renforcera la norme de la prime à la grandeur. L’ensemble s’autoentretient, sans que l’on puisse savoir qui des deux est l’œuf ou la poule, d’autant que le phénomène est complexe et ancré dans les mentalités depuis des siècles. (...)
Pas étonnant que les hommes plus petits développent des comportements plus agressifs lorsqu’ils sont en concurrence avec des adversaires plus grands qu’eux, vu que la compétition est de base biaisée.
Écart bien assorti
Sauf que la taille de l’homme n’est pas attractive, y compris de manière inconsciente, pour sa seule valeur d’indicateur de la carrière et des ressources futures du foyer, tempère le chercheur. « La vie en couple est moins fréquente parmi les hommes de petite taille. Cette situation n’est pas due à leur condition sociale. Bien que les ouvriers soient en moyenne plus petits que les cadres, les effets de la taille sur la mise en couple sont de même intensité dans ces deux milieux sociaux. » (...)
La raison de cette mise à l’écart : « l’assortiment physique des couples ». L’idée, c’est qu’« un couple doit être physiquement “bien assorti” », formule Nicolas Herpin. Pour cela, il convient de suivre « une convention sociale : celle de l’écart de taille entre l’homme et la femme ». Mais, attention, sans que celui-ci soit trop extrême et notable. « La norme sociale rend souhaitable que, dans le couple, l’homme soit plus grand que sa femme sans pour autant que l’écart ne soit ni trop faible ni trop fort. » (...)
Norme intégrée
Apparemment, « les femmes veulent des hommes plus grands davantage que les hommes ne veulent des femmes plus petites » –c’est en tout cas le titre d’une étude comenée par Gert Stulp, chercheur au département de sociologie de l’Université de Groningen (Pays-Bas).
En moyenne, les femmes ont une prédilection pour une différence de taille avec leur partenaire plus conséquente que celle visée par les hommes. (...)
Menace symbolique
« Certains hommes vivent encore dans le stéréotype qu’ils doivent être plus grands que leur copine afin de pouvoir la protéger », réprouve Miriam. « Une femme grande, quand on est un jeune homme, ça fait peur. On se dit que la nana va nous dominer, qu’elle va être puissante, ça angoisse », interprète Jade.
C’est aussi ce qu’en déduit l’anthropologue Priscille Touraille, à partir de l’observation de la société baka au Cameroun. « Les hommes sont très clairs : ils ne veulent pas d’une femme plus grande, qui les dépasse, parce que, disent-ils, elle les dominerait, les menacerait. »
Une justification qui fait rire leurs femmes, qui voient mal comment cette menace pourrait être effective dans leur société où la domination masculine est très forte et très affirmée. (...)