Les instituts remettent en question la valeur et les méthodes utilisées par les organismes de classement, qui peuvent accorder davantage d’importance aux résultats de la recherche qu’à d’autres paramètres.
L’université de la Sorbonne, fondée à Paris en 1253 et mondialement connue comme symbole de l’éducation, de la science et de la culture, vient d’annoncer qu’à partir de 2026, elle cessera de soumettre ses données au classement Times Higher Education (THE). Elle rejoint ainsi un mouvement croissant d’universités qui remettent en question la valeur et la méthodologie de ces classements controversés. Les organismes de classement additionnent divers indices censés mesurer la qualité. Ces indices comprennent les résultats de la recherche, les résultats d’enquêtes de réputation, le montant des subventions et des dons reçus pour la recherche, et le nombre de lauréats du prix Nobel qu’elles ont employés.
Nathalie Drach-Temam, présidente de la Sorbonne, a déclaré que « les données utilisées pour évaluer les performances de chaque université ne sont ni ouvertes ni transparentes » et que « la reproductibilité des résultats obtenus ne peut être garantie ». Cela fait écho à des préoccupations plus larges concernant le manque de rigueur scientifique des systèmes de classement qui prétendent mesurer les performances complexes des établissements à l’aide d’indicateurs simplifiés. Le problème est que le grand public considère que les classements sont un indicateur de qualité. Ils ont donc une influence considérable sur le marché, notamment sur le choix des lieux d’études et des investissements financiers.
La décision de l’université s’inscrit dans le cadre de son engagement envers l’Accord sur la réforme de l’évaluation de la recherche, un accord signé par plus de 700 organismes de recherche, bailleurs de fonds et associations professionnelles, et la Déclaration de Barcelone, signée par environ 200 universités et instituts de recherche. Tous deux prônent des pratiques scientifiques ouvertes afin de rendre la recherche scientifique, les données, les méthodes et les ressources éducatives transparentes, accessibles et réutilisables par tous sans aucune barrière. Et tous deux recommandent « d’éviter l’utilisation des classements des organismes de recherche dans l’évaluation de la recherche ». La Sorbonne rejoint une liste croissante d’institutions de renom qui abandonnent les classements. L’université Columbia, l’université d’Utrecht et plusieurs instituts indiens ont choisi de se retirer des principaux systèmes de classement. Aux États-Unis, 17 facultés de médecine et de droit, dont Yale et Harvard, se sont retirées des classements spécifiques à leur discipline.
Il existe cinq grandes agences de classement et au moins vingt autres plus petites. À celles-ci s’ajoute un nombre similaire de classements régionaux et spécifiques à certaines disciplines. Ensemble, elles constituent un secteur d’activité pesant un milliard de dollars. Pourtant, ces classements sont accessibles gratuitement. Le secteur des classements cible de plus en plus les pays africains. Il considère le continent comme un nouveau marché à un moment où il perd de son attrait auprès des institutions prestigieuses du Nord. On assiste à une augmentation rapide du nombre d’événements prestigieux organisés par les organismes de classement sur le continent. Ces événements sont très coûteux et souvent assez luxueux. Ils réunissent des vice-chanceliers, des universitaires, des consultants et d’autres personnalités.
En tant qu’universitaire impliqué dans l’enseignement supérieur, je pense que la course aux classements peut nuire au fragile système d’enseignement supérieur africain. Il y a deux raisons principales à cela. Premièrement, les critères de classement se concentrent principalement sur les résultats de la recherche, plutôt que sur le potentiel de cette recherche à répondre aux problèmes locaux. Deuxièmement, les classements ne tiennent pas compte du rôle de l’enseignement supérieur dans la formation de citoyens critiques ou dans la contribution au bien public. La décision de la Sorbonne reflète une opinion de plus en plus répandue selon laquelle l’industrie des classements n’est pas scientifique et constitue un mauvais moyen de mesurer la qualité. Néanmoins, de nombreux vice-chanceliers ne sont pas prêts à prendre le risque de se retirer. Les classements ne sont peut-être pas très efficaces pour indiquer la qualité, dans toutes ses formes nuancées. Ils sont toutefois très efficaces pour façonner l’opinion publique. Et même si une université choisit de ne pas figurer dans le classement en refusant de communiquer ses données, l’industrie continue de l’inclure, en se basant uniquement sur les données limitées accessibles au public.
Le secteur du classement
Les classements eux-mêmes sont disponibles gratuitement. Le secteur du classement tire l’essentiel de ses revenus de la revente des données fournies par les universités. Les universités soumettent gratuitement des données institutionnelles détaillées aux sociétés de classement. Ces informations sont ensuite reconditionnées et revendues aux institutions, aux gouvernements et aux entreprises. Ces données comprennent les revenus institutionnels. Elles comprennent souvent également les coordonnées du personnel et des étudiants. Elles sont utilisées pour des « enquêtes de réputation ». Dans le cas du classement QS University Rankings, la « réputation » représente plus de 40 % du classement. Ce modèle économique a donné naissance à ce que l’on pourrait qualifier d’opération sophistiquée de collecte de données déguisée en évaluation académique.
Critiques croissantes
La recherche universitaire a largement documenté les problèmes liés aux méthodologies de classement. Parmi ceux-ci, on peut citer : • l’utilisation d’indicateurs indirects qui ne reflètent pas fidèlement la qualité des établissements. Par exemple, alors que de nombreux classements universitaires ne prennent pas du tout en compte la qualité de l’enseignement, ceux qui le font utilisent des critères tels que les revenus, le ratio enseignants/étudiants et la réputation académique internationale. • l’indexation composite qui combine des mesures sans rapport entre elles. Les indicateurs collectés sont simplement additionnés, même s’ils n’ont aucune incidence les uns sur les autres. Nos étudiants sont régulièrement mis en garde contre les dangers de l’utilisation de mesures composites dans la recherche, et pourtant, celles-ci sont au cœur de l’industrie du classement. • des systèmes de pondération subjectifs qui peuvent modifier considérablement les résultats en fonction de décisions arbitraires. Si le système décide de pondérer la réputation à 20 % et les revenus de l’université à 10 %, nous obtenons un certain classement des établissements. Il suffit d’inverser ces pondérations pour que le premier passe à 10 % et le second à 20 % pour que la liste se remanie. Et pourtant, la qualité des établissements reste inchangée.
Les classements ont tendance à favoriser les universités axées sur la recherche tout en ignorant la qualité de l’enseignement, l’engagement communautaire et la pertinence locale. La plupart des systèmes de classement mettent l’accent sur les publications en anglais. Cela renforce les hiérarchies académiques existantes plutôt que de fournir une évaluation significative de la qualité. Lorsque de nouveaux classements sont introduits, tels que les classements de l’Afrique subsaharienne, des économies émergentes ou même ceux basés sur l’impact, ils souffrent malheureusement toujours du problème des mesures indirectes et des pondérations composites et subjectives. En outre, de nombreuses sociétés de classement refusent de révéler les détails précis de leur méthodologie. Il est donc impossible de vérifier leurs affirmations ou de comprendre sur quelle base les établissements sont réellement évalués. Les chercheurs affirment que les classements ont connu un grand succès parce qu’ils correspondent à l’idée d’un enseignement supérieur considéré comme un marché où les établissements se font concurrence pour gagner des parts de marché. Cela a conduit les universités à privilégier les indicateurs qui améliorent leur classement plutôt que les activités qui servent au mieux leurs étudiants et leurs communautés. L’accent mis sur les résultats quantifiables a créé ce que les chercheurs appellent un « isomorphisme coercitif », c’est-à-dire une pression exercée sur toutes les universités pour qu’elles adoptent des structures et des priorités similaires, indépendamment de leurs missions spécifiques ou de leur contexte local.
Des recherches montrent que la course à la notoriété dans les classements influe sur l’allocation des ressources, la planification stratégique et même le choix des étudiants qui postulent dans les établissements. Certaines universités ont délaissé la qualité de l’enseignement au profit des résultats de la recherche dans le seul but d’améliorer leur classement. D’autres se sont livrées à des « manipulations » en falsifiant les données afin d’améliorer leur position.
Perspectives d’avenir
La participation à des systèmes de classement méthodologiquement défaillants présente une contradiction : les universités fondées sur les principes de la recherche scientifique continuent de soutenir un secteur dont les méthodes ne répondent pas aux normes élémentaires d’évaluation par les pairs. Pour les universités qui continuent d’y participer, la décision de la Sorbonne soulève une question délicate : quelles sont leurs priorités institutionnelles et leurs engagements en matière d’intégrité scientifique ?