
J’ai signé l’appel Passeurs d’humanité en soutien à ceux qui aident les migrants dans la vallée de la Roya. J’engage rarement de concert mes convictions personnelles et ma parole publique de directrice du Salon du livre de jeunesse. En voici la raison.
Entre Vintimille et le Col de Tende, les gorges violettes et vertes de la vallée de la Roya, ses montagnes émouvantes et ses torrents gris portent mes racines. Elles sont mon refuge de lumière, ma ressource d’énergie. Cette vallée des Merveilles qui abrite mon enfance est le berceau de l’une des plus belles histoires, celle de l’écriture imagée avec ses gravures qui datent de 4000 ans. Elle nourrit les mythologies des sorciers, des paysans, des bergers, les mythologies de la Terre… des histoires qui me constituent. (...)
Mais, depuis quelques mois, sur cette route qui, de Menton à Tende sinue de France en France en passant par l’Italie, les frontières sont brutalement de retour et avec elles la traque des migrants sur les routes, dans les trains, sur les chemins de montagne.
Un check point est installé à deux pas des anciens postes douaniers aujourd’hui abandonnés. Des compagnies de l’armée et de la gendarmerie poursuivent les exilés. Le droit d’asile est bafoué. Les procès s’enchainent pour décourager ceux qui, des maraudes alimentaires, à l’accueil des migrants en passant par l’aide aux mineurs isolés, ne renoncent pas au devoir d’humanité.
Comment supporter la violence qui s’abat sur les femmes, les hommes, les enfants qui échouent à Vintimille et ne demandent qu’a survivre en passant par cette route que nous sommes libres d’emprunter ? Comment ne pas être révoltée par le sort réservé à cette transhumance anonyme à laquelle on refuse visage, noms, histoire, identité ? Pourquoi leur refuser le droit de se reposer des désordres du monde dans nos villages et parfois même de désirer y rester ? Comment, pourrais-je d’un côté porter l’idée d’une littérature jeunesse libre, ouverte à l’autre, hospitalière aux différences, attentive aux fragilités des êtres et accepter que la solidarité soit criminalisée ? Peut-on sérieusement enseigner l’universalité des Droits de l’homme aux enfants et ne pas réagir quand ceux aident leur prochain se voient condamnés.
Mon motif personnel rejoint mon aventure professionnelle et modestement les voix multiples du livre, de la littérature qui se manifestent. De la publication collective des éditeurs de jeunesse, « Eux c’est nous » il y a deux ans, à la création de l’association Encrages par des illustratrices et des illustrateurs jeunesse qui, du Bassin de la Villette à Bruxelles, soutient les mineurs isolés, en passant par les très nombreux romans, essais, bandes dessinées qui offrent une tribune artistique, intellectuelle pour penser comment faire face à ce nouvel état du monde, j’ajoute ma petite voix de franco-italienne qui rêve que le monde nous appartienne à tous.