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Pourquoi il faut absolument voir le film « Sabotage » [Film de Daniel Goldhaber · 1 h 44 min · 26 juillet 2023 (France)]
#sabotage #ecologie
Article mis en ligne le 26 juillet 2023

En 2020, dans Comment saboter un pipeline (éditions La Fabrique), le chercheur et militant Andreas Malm plaidait pour que la lutte climatique s’inscrive dans l’histoire de ces luttes sociales présentées à tort comme « pacifistes », de l’abolition de l’esclavage au mouvement des suffragettes en Angleterre en passant par le combat contre l’apartheid en Afrique du Sud. Pour ce faire, le Suédois préconisait de passer à la vitesse supérieure, en menant des actions radicales sur le terrain des « infrastructures écocidaires » elles-mêmes. Qu’il s’agisse de dégonfler des pneus de SUV, d’empêcher des jets privés de décoller ou bien encore de « saboter un pipeline », donc.

(...) Et d’insister : « Ce genre de sabotage me semble tout à fait légitime, d’un point de vue moral. Je ne vois pas comment on peut défendre l’intégrité physique de machines qui, objectivement, sont en train de détruire la planète. »

Réflexion sur la forme cinématographique (...)

Ici comme ailleurs, le long-métrage fait la démonstration de sa foi absolue envers ses personnages – leurs caractères, leurs trajectoires et même leurs « origin stories », pour reprendre une expression entendue dès le premier chapitre. Plutôt que de les réduire à de simples fonctions, Sabotage choisit ainsi de revenir à travers huit flash-backs personnifiés sur leurs motivations. Étudiants épuisés par l’inertie institutionnelle, amants convaincus in extremis par leurs compagnons, enfants affectés dès le plus jeune âge par la mort d’un proche à cause de la pollution… Sans prétendre à l’exhaustivité sociologique ni sacrifier cette vertu sur l’autel de sa trame narrative principale, le film explore avec brio les différentes facettes du passage à l’acte.

Si le résultat est aussi saisissant, c’est également grâce à l’intelligence de la mise en scène de Daniel Goldhaber. Au-delà du choix du montage alterné, ce dernier opte pour une caméra embarquée des plus dynamiques, encore plus efficace grâce au rythme de ses accompagnements musicaux. Exit les clichés sur le formidable esprit de groupe des zadistes  ; place aux mains qui tremblent, aux morceaux de chevreuil trop cuits et aux yeux fatigués à force de scroller Twitter. (...)

Pari gagnant : durant les séquences finales, il est tout simplement impossible de bouger de son siège, de peur que telle ou telle partie de l’opération ne finisse par dégénérer.

Sur le fond, il est d’autant plus ironique que le film inquiète à ce point les autorités (au moment de sa sortie outre-Atlantique au printemps dernier, le FBI avait émis une alerte officielle à son encontre) qu’il n’est en rien un tutoriel sur la manière dont saboter un pipeline. Tout en étant évidemment situé du côté de ses protagonistes, Sabotage ne constitue ni une apologie simpliste ni une exaltation romantique de leurs actions. Spectacle égocentrique ou stratégie efficace  ? Violence contre-productive ou légitime défense  ? Le long-métrage ne résout pas (en tout cas pas totalement) la question. Bien au contraire, il explore sans concession les dilemmes moraux, philosophiques et économiques d’une telle démarche – mais aussi, en effet, son intérêt et son efficacité. Perspicace, stimulant, urgent : à peu près l’inverse de tout ce que les politiques ont jusqu’à présent été capables d’offrir.