
Pour que le secteur public devienne un véritable service public, pour que les programmes (information, culture, divertissement) soient conformes à sa vocation, la question des ressources, même si elle ne recouvre pas tous les problèmes, est tout sauf secondaire. Il faut doter l’audiovisuel public de moyens comparables à nos voisins allemands ou anglais pour produire des émissions d’information, des programmes, des fictions, des séries et des documentaires, affranchis de la seule logique du marché. On s’intéressera surtout ici à France Télévisions.
(...) La moyenne de consommation de la TV est aujourd’hui de près de 3 h 40 quotidiennes à quoi il faut ajouter un temps équivalent, voire supérieur devant les ordinateurs, tablettes ou Smartphones ! En temps cumulé sur une vie, le temps passé devant un écran est la deuxième activité humaine juste derrière le sommeil ! (...)
– Doit-on laisser le « temps de cerveau humain disponible » totalement sous l’emprise du seul marché et de la loi du profit ?
– Quel projet politique peut-il se dispenser de poser la question de l’audiovisuel public ? (...)
Structurellement mal financé, l’audiovisuel public n’a aujourd’hui pas les moyens de répondre aux défis de la révolution numérique, aux nouvelles circulations des contenus exportés par des géants américains. (...)
Il n’y a pratiquement qu’aux États Unis et dans leur zone d’influence, en particulier en Amérique latine, que les médias audiovisuels ont toujours été des entreprises privées. Dans la plupart des autres pays, la télévision et la radio se sont développées comme des monopoles d’État financés par des ressources publiques et, partiellement, par la publicité. En France, dans les années 1960, l’État a fait des investissements massifs et rapides. Outre le financement des chaînes nationales, ces investissements ont permis un maillage exemplaire de la métropole et des outremers avec les stations de France 3 et de RFO. Mais l’audiovisuel était aussi considéré comme un outil régalien et faisait l’objet d’un insupportable contrôle politique, en particulier dans le secteur de l’information.
Depuis la contre-révolution libérale des années 1970-1980 tout a été bouleversé. Un processus ininterrompu de dérégulation et de marchandisation de l’audiovisuel s’est engagé. Même si une certaine tutelle politique est maintenue, l’État n’investit plus et se désengage, quelles que soient les alternances entre la gauche et la droite. (...)
Privatisation des fréquences
Après l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, la libéralisation « politique » des ondes va rapidement coïncider avec leur marchandisation. On passe ainsi de la mainmise du pouvoir politique à la loi du profit. (...)
Privatisation des programmes
Depuis la publication des décrets Tasca en 1990 [3], sous le gouvernement Rocard, les chaînes publiques sont devenues de simples diffuseurs et des guichets de financement de la production privée. Véritables « vaches à lait », elles ont l’obligation de commander l’essentiel de leurs programmes à des producteurs indépendants. (...)
Les sommes en jeu sont considérables et ceux qui bénéficient des bons réseaux s’enrichissent parfois sans contrôle. Ces producteurs ont développé un puissant lobby qui se moque des alternances politiques [4]. Pur scandale : même quand elles les ont financés à 100 %, les chaînes publiques ne sont pas propriétaires de leurs programmeset doivent parfois les racheter pour pouvoir les rediffuser [5] !
En 2001, le gouvernement Jospin finit par privatiser la Société Française de Production (SFP) qui était en difficulté depuis qu’elle ne bénéficiait plus de la redevance et des commandes obligatoires des chaînes publiques. La SFP et ses studios de Bry sur Marne sont cédés pour une somme symbolique à Vincent Bolloré. C’était la première pierre de son empire médiatique, avant qu’il ne devienne le propriétaire de Vivendi et de Canal +. (...)
Un sérieux problème de financement
Depuis les années 80, le législateur et l’État n’ont jamais réellement choisi un mode de financement qui garantisse à la télévision publique son équilibre, sa place et sa capacité d’investissement. France Télévisions est balloté entre la publicité (qui a représenté jusqu’à 50 % du budget de France 2) et la redevance. Alors qu’il s’agit, en principe, d’une taxe dédiée, elle fait l’objet d’exonérations non compensées ou sert de variable d’ajustement en étant partiellement reversée dans le budget général de l’État.
La comparaison avec les pays voisins de taille comparable est édifiante. C’est l’une des plus basses d’Europe. (...)
Et sous l’ère François Hollande ?
La fragilisation du secteur public de l’audiovisuel s’est malheureusement encore aggravée ces dernières années.
Avant son élection François Hollande avait fait plusieurs promesses dans le domaine des médias : une loi anti concentration, la fin de la fusion RFI/France 24, une chaîne pour enfants, et, surtout, l’élargissement de l’assiette de la redevance. On l’aura compris : aucune n’a été tenue. (...)
Suppressions d’emplois, économies dans l’audiovisuel public comme dans d’autres domaines, le bilan du gouvernement de François Hollande laissera un goût amer.
III. Défis et enjeux
Les défis ne manquent pas. Il serait temps de leur faire face.
Révolution numérique et concentrations capitalistes (...)
La convergence numérique s’accompagne dans le même mouvement d’un bouleversement de tout l’écosystème des médias. Avec des puissances financières inégalées, les multinationales de l’internet, les fameux GAFA [13] sont devenus de redoutables producteurs de programmes. Ces sociétés qui sont connues pour être des championnes de l’optimisation et de l’évasion fiscales font aussi des bénéfices considérables avec des contenus qu’elles agrègent sans les avoir financés. (...)
En France, ce sont les géants des télécoms, les propriétaires des tuyaux, qui développent aujourd’hui des stratégies de convergence pour devenir des « distributeurs de contenus ». (...)
L’enjeu pour ces joueurs de Monopoly à l’échelle planétaire est l’économie du flux avec des millions d’abonnés, cibles de la publicité. À l’heure où la télévision se regarde n’importe où, n’importe quand et sur tous les supports, l’enjeu stratégique n’est plus d’avoir des canaux de diffusion mais d’être propriétaire de catalogues de contenus avec des milliers d’heures de programmes. (...)
L’enjeu des programmes
On le voit : chez nos voisins, il y a un lien direct entre le niveau de la redevance et celui de la production audiovisuelle. Là où la France produit bon an mal an environ 700 heures de fictions (public et privé confondus), l’Allemagne et le Royaume Unis en produisent environ 2000 en moyenne.
Cette faiblesse de la production française est un paradoxe alors que les audiences sont au rendez-vous… et pourtant, le phénomène s’accélère. (...)
Voilà les injonctions contradictoires auxquelles se confronte la télé publique. L’affichage politique d’un fort niveau d’exigence et le carcan du libéralisme qui l’étouffe ! C’est ce cadre qu’il faut faire exploser.
Quel avenir pour l’audiovisuel public ?
Fragile, l’audiovisuel public a portant d’extraordinaires potentiels. (...)
IV. Refonder et démocratiser l’audiovisuel public
Aujourd’hui il ne faut pas s’en étonner, les tensions sont fortes dans l’audiovisuel public. Souvent épuisé et désorienté, le personnel a le sentiment d’être mal aimé par son actionnaire. Les patrons qui se succèdent depuis des années ne semblent avoir pour seule vision stratégique que des plans d’économies. Les salariés ne demandent pourtant pas autre chose que de pouvoir remplir le mieux possible la mission à laquelle ils croient.
Dans le même temps, ces dernières années, un désamour s’est parfois installé entre le public et France Télévisions. (...)
Quelques propositions
Nous avons, de longue date, avancé quelques propositions, offertes à la discussion publique et au sein même de notre association, que nous résumons et complétons.
– Inscrire la refondation de l’audiovisuel public dans la perspective d’un service public de l’information et de la culture ;
– Doter l’audiovisuel public d’un financement pérenne à la hauteur des enjeux [24], de nouveaux projets et d’une nouvelle organisation.
Des euros, il en faut et des projets aussi.
Des euros, il en faut… (...)