
Co-réalisateur du film Les Nouveaux Chiens de Garde[1], Gilles Balbastre réalise depuis plus de quinze ans des documentaires qui pointent les effets destructeurs du capitalisme et de la dérégulation financière sur le monde du travail et sur la précarité, ainsi que le rôle des médias dominants dans l’expansion du néolibéralisme. Ancien journaliste à France 2, il dénonce le recul du pluralisme et les effets de la censure économique sur la diffusion des films critiques du système capitaliste. Il présente également Nada-info.fr, une plateforme de financement de films qui recueille des adhésions pour produire « Nous avons des armes », son prochain film sur la violence médiatique contre les mouvements sociaux, pour lequel il manque encore 20 000 euros.
Vous avez sorti deux documentaires cette année « Cas d’école : l’école face aux médias » (à commander sur le site Nada-info), et « Vérités et mensonges sur la SNCF » (en ligne sur Youtube) qui révèlent les effets néfastes du capitalisme dans les domaines de l’éducation et des transports, et comment les médias dominants participent à maintenir ce système et détournent l’attention. Ce n’est plus possible de faire des documentaires critiques pour la télévision ?
Depuis la sortie des « Nouveaux Chiens de Garde » (2012), je suis tricard à la télévision. Les producteurs ne proposent plus aux chaînes mes projets, car ils savent qu’ils seront refusés. Avant, j’ai travaillé régulièrement pour France 5 où il y avait encore une possibilité pour moi, notamment pour une case consacrée à l’économie et au travail. J’ai pu faire des films comme « le chômage a une histoire » (2001), « Moulinex, la mécanique du pire » (2003), « EDF, les apprentis sorciers » (2006), « Fortunes et Infortunes des familles du Nord » (2008)… Mais ce genre de productions serait maintenant refusé. Déjà à l’époque c’était difficile. Mes sujets étaient discutés sur le fond et la forme voire retravaillés… par exemple le service audiovisuel du ministère du travail finançait ces films mais ne voulait jamais signer parce que mes films étaient soi-disant trop « rouges ». Pour mon film « Fortunes et Infortunes », la chargée de programme m’avait fait réécrire une bonne partie du texte en me disant : « ton film est suffisamment rouge comme ça ». Mais on ne sort jamais ce type de réflexion à Alain Minc, Christophe Barbier ou à Yves Calvi, « ton texte est blanc, c’est un texte russe blanc, tu peux pas le mettre un peu plus rose ? ». Le plus grave, c’est que c’est un processus d’élimination. (...)
Maintenant la commission de censure, c’est la censure économique. Les documentaires ne se font plus parce qu’on est étouffé économiquement. Certes, tu peux trouver de temps en temps des documentaires pas trop mal sur LCP, Arte ou sur France 5. Les conditions de production ont changé également. (...)
à Roubaix, les médias traitent principalement de la violence, violence scolaire, crimes, trafics, vols, faits divers genre « gang de Roubaix »… et ne racontent jamais l’insécurité sociale produite par la violence économique. Et faire un tel documentaire n’est pas faire un acte de militantisme. C’est plutôt la narration d’une situation « objective » avec tous les paramètres. Je hais l’idée d’« angle journalistique », parce que l’article « anglé » permet surtout de ne pas aborder les différents éléments politiques, sociologiques et économiques d’une situation, sous prétexte que « c’est trop compliqué ! ». (...)
ce n’est pas un hasard s’il y a autant d’embûches dans une industrie comme celle de l’image alors qu’elle est omniprésente dans notre société actuelle. A croire que tout est fait pour ne pas attaquer ce qui constitue, rappelons-le une forme de propagande. Il est donc difficile de surfer sur un succès comme « Les Nouveaux Chiens de Garde » pour refaire des documentaires grand public. Le film a certes été diffusé à la télé, pas sur TF1 ou France 2 bien entendu, mais sur LCP, une chaîne aux audiences très faibles. Et après la diffusion, LCP n’a pas pu s’empêcher d’organiser un débat avec trois chiens de garde[2] : l’économiste Élie Cohen, le journaliste Franz-Olivier Giesberg et le sociologue Dominique Wolton. LCP nous a en réalité fait un magnifique cadeau : la preuve que Les Nouveaux Chiens de Garde dit vrai !