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Mediapart
Politique de la ville : vingt ans d’effets d’annonce
#ville #inégalités
Article mis en ligne le 14 août 2023
dernière modification le 13 août 2023

Sabrina Agresti-Roubache a choqué en disant qu’il fallait en finir avec la « politique du chéquier » pour les quartiers populaires. Pourtant, elle s’inscrit dans la droite ligne de ses prédécesseurs englués dans leur impuissance politique.

Ni fleurs ni couronnes. La secrétaire d’État chargée de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, a enterré la politique de la ville, dans un entretien accordé au Journal du dimanche.

Outre la forme et le fait d’accorder une onction républicaine à un média passé aux mains de Geoffroy Lejeune, transfuge de Valeurs actuelles, le fond a de quoi interpeller.

La secrétaire d’État chargée de la ville l’affirme, « la politique du chéquier, c’est fini, ça ne marche pas ». Comme si les quartiers populaires étaient arrosés de deniers publics à ne plus savoir qu’en faire. La réalité est plus complexe. (...)

Le sociologue Renaud Epstein, professeur à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye, voit dans cette sortie, « qui reprend le discours de l’extrême droite sur les milliards injectés dans les quartiers », un message adressé à « l’électorat de droite choqué par les images d’écoles et de commerces brûlés après la mort de Nahel ».

Cette prise de position de la secrétaire d’État ne le surprend pas. « Elle ne fait que répéter, de façon caricaturale, le message de Macron sur la politique de la ville, qui explique que ce n’est pas en mettant plus de moyens qu’on résoudra les problèmes des quartiers populaires. »

Marie-Christine Jaillet, directrice de recherche au CNRS et spécialiste de la ville, considère qu’il faut laisser à Sabrina Agresti-Roubache le temps d’agir avant de formuler un avis. Elle remarque toutefois que la politique de la ville relève d’un secrétariat d’État et non d’un ministère de plein exercice, ce qui pose question « en termes de hiérarchie et d’importance ».

La sociologue poursuit : « L’autre élément, nouveau celui-là, est ce rattachement inédit au ministère de l’intérieur. La réponse à ce qui s’est passé après la mort de Nahel ne saurait se réduire à une question de retour à l’ordre. »

À chaque épisode de révolte urbaine, ce discours sur une politique de la ville jugée trop généreuse et inefficace émerge dans le débat public. Or cette affirmation est à relativiser, poursuit Marie-Christine Jaillet, notamment « parce qu’une large partie des sommes mobilisées par l’Agence nationale de la rénovation urbaine ne provient pas du budget de l’État mais des fonds d’Action logement ». (...)

De fait, l’action des ministres sur les quartiers populaires est fluctuante. Les observateurs soulignent que les ministres successifs ont été de bonne volonté, mais qu’ils avaient en réalité zéro pouvoir politique, à deux exceptions près. Claude Bartolone (1998-2002) et Jean-Louis Borloo (2002-2004) sont les seuls qui ont réalisé des réformes structurelles. Le premier a lancé la politique de renouvellement urbain, en lien avec la loi SRU (loi relative à la solidarité et au renouvellement urbain), le second a mis en place l’Agence nationale de rénovation urbaine (Anru). « Les autres ministres n’ont pas pesé politiquement ni su mobiliser les soutiens nécessaires dans l’appareil bureaucratique de l’État et dans les collectivités », analyse Renaud Epstein.

L’autre défaut de ce ministère est d’être celui des nominations symboliques ou d’affichage. (...)

pour faire exister une politique, un ministre a besoin qu’elle soit portée au plus haut niveau, c’est-à-dire par une première ministre et par un président de la République, souligne la sociologue.

En réalité, ce portefeuille relève surtout d’une politique symbolique « au sens où elle ne pèse rien sur le plan budgétaire », insiste le sociologue Renaud Epstein. (...)

L’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru), créée en août 2003 par une loi portée par le ministre délégué de la ville de l’époque, Jean-Louis Borloo, fête ses vingt ans. Sa principale mission était de rénover les logements dégradés des quartiers prioritaires de la ville et de repenser ces derniers.
(...)

Pour elle, aujourd’hui, les missions de l’Anru doivent se renouveler et prendre en compte d’autres priorités, « comme les enjeux écologiques et la rénovation thermique des logements, qui peut la conduire aujourd’hui à réviser ses principes ».

Renaud Epstein abonde dans le même sens

Mais l’action et l’efficacité de l’Anru sont interrogées. À tel point que la présidente de l’Agence, Catherine Vautrin, a dû monter au créneau le 9 août dans une interview sur France Inter, pour défendre l’action de l’Anru. Celle-ci assure qu’elle contribue par les rénovations effectuées « à améliorer les conditions de vie de cinq millions d’habitants dans les quartiers ».

Marie-Christine Jaillet rappelle que l’intérêt principal de l’Anru a été d’organiser un guichet unique, qui a permis effectivement de financer un certain nombre de travaux. Mais le bilan reste imparfait parce qu’elle s’est concentrée sur le bâti. (...)

Les actions censées compenser les difficultés des habitant·es des quartiers prioritaires ont surtout été en partie déléguées aux politiques de droit commun, portées par des associations et collectifs aux finances toujours précaires. Mais les déclarations de la nouvelle secrétaire d’État ne plaident pas en faveur d’un coup de pouce.