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Ptit grain Attac33 n°480
« Placer la paix plus haut que tout » et en même temps. . .
jean-Luc Gasnier
Article mis en ligne le 14 novembre 2018

Cette année, pour le centenaire, la commémoration de la fin de la guerre de 14-18 a pris un relief particulier, tout au long de l’itinérance chaotique de notre Président, mais aussi dans les médias.

Pendant la semaine, dans son émission « La marche de l’histoire », Jean Lebrun a évoqué le souvenir des souffrances endurées et de héros populaires, retracé certains faits marquants d’un conflit particulièrement meurtrier.

Parmi tous les souvenirs et les témoignages, une lecture bouleversante : le récit d’un évènement tragique (raconté par le descendant des malheureux protagonistes du drame) survenu pendant la reconquête de l’Alsace allemande par les troupes françaises (1).

« En ce mois d’août 1915, les Français occupent la montagne, les allemands sont à Bernwiller. Comme il ne se passe pas grand-chose le vieux Bischoff, mon grand-père, décide d’aller faucher l’avoine de la colline entre Bernwiller et Galfingue. Il fait un grand soleil ce jour-là, ma mère est là, elle a alors treize ans. Ma mère et Rosalie sa sœur, presque jumelles, ramassent avec leurs faucilles les tiges d’avoine fauchées. Ernest, quinze ans, noue un brin autour de la gerbe avant de la reposer. Le gamin, le petit Louis, avec ses huit ans, gambade autour. Il gazouille et les alouettes dans le ciel lui répondent ; c’est une journée de moisson ordinaire en somme. Parmi les épis dorés la guerre semble bien loin. Sur la colline de Gildwiller dont on distingue presque chaque arbre, les Français, les héros, s’ennuient sans doute, boivent un peu ou font la sieste ; je les imagine près de leur canon de 75, cherchant à tromper leur ennui avec un pari.

 Tu vois les culs-terreux sur la colline là-bas, je te parie trois litres de rouge qu’au premier coup je te les fous en l’air

 Ceux près du noyer là-bas ?

 Oui, là où il y a les mômes, les deux fillettes et le gamin qui courent là-bas

 Bon pari tenu

Et, BOUM !

Le bidasse a gagné son pari l

Dans sa robe en lambeaux, ma mère reprend ses esprits, indemne.

Elle voit son père couché à côté de sa faux, inanimé, les jambes en sang. Son petit frère Louis gît près de lui éventré, cassé en deux, sa petite sœur Rosalie qui était belle comme une fleur et vive comme une pie est complètement déchiquetée. . . »

Les Alsaciens, allemands au début de la guerre, redeviendront français à la fin des hostilités.

Aujourd’hui, la France et l’Allemagne célèbrent, à l’occasion du centenaire de l’armistice, leur amitié.

La guerre de 14-18, on ne le répétera jamais assez, fut d’abord une absurdité et un abominable charnier où les hommes furent pris dans un tourbillon infernal. Nos chefs de guerre victorieux, nos grands maréchaux, envoyèrent à la mort des millions d’hommes. Les vainqueurs, tout comme les vaincus, prirent part à un désastre collectif. C’est l’humanité toute entière qui sombra et fut défaite.

Pour se souvenir, pour « faire revenir à nous cet immense cortège de combattants venus du monde entier », il faudrait reprendre en cœur le cri du cœur des poilus, « Plus jamais ça ! », et le traduire dans les actes. Il faudrait ne pas se contenter d’hommages verbeux, de belles paroles qui ne sont que des vibrations vite évanouies mais œuvrer réellement pour la paix.

Comment « réaffirmer devant le peuple, notre immense responsabilité, transmettre à nos enfants le monde dont les générations d’avant ont rêvé » en exaltant les valeurs militaires des maréchaux et en mettant en avant les qualités de « grand soldat » que fut le maréchal Pétain ?

Comment faire l’éloge du « patriotisme, exact contraire du nationalisme » et imposer à l’école l’apprentissage des paroles de la Marseillaise où « un sang impur abreuve nos sillons » ?

Comment appeler les nations à « placer la paix plus haut que tout » et livrer des armes aux quatre coins du monde et notamment à l’Arabie saoudite, responsable de crimes de guerre au Yémen ?

Comment vouloir la paix et en même temps favoriser par son action ou son inaction la guerre ?

Pour commémorer dignement le 11 novembre peut-être conviendrait-il d’imposer une semaine de silence à nos gouvernants.

( 1) L’émission dans laquelle cet évènement a été raconté peut être écoutée ici