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L’ Humanité.fr
Pierre-Louis Basse :"La perversité de l’appareil nationaliste"
Article mis en ligne le 7 novembre 2013

La boxe, comme l’histoire, nous enseigne de ne pas baisser la garde. Pierre-Louis Basse a retenu la leçon. Dans la Tentation du pire, il cultive la mémoire d’une « France brutale » livrée à l’extrême droite. Face aux bégaiements de l’histoire, un appel à la vigilance.

La Tentation du pire est loin du mode d’emploi antifasciste classique. N’est-ce pas pour autant un livre de combat ?

(...) Il y a une très grande perversité dans l’appareil nationaliste, une grande séduction… C’est aussi pour cette raison que la double page sur Drieu est accompagnée de cette belle photo des Damnés, de Visconti. Visuellement, le fascisme s’appuie sur l’esthétisme. Mais j’ai quand même essayé de donner quelques clés. Je suis très clair sur son parcours, en parlant d’un «  roman au noir  », de son rapport ambigu à l’existence, à l’individualité, aux femmes, à la décadence… Il est l’expression d’une peur de l’époque. Il y a une belle expression de Gide, dans l’Immoraliste, où il compare un personnage à «  une coloquinte du désert  ». C’est un fruit qui paraît désaltérer, mais c’est le contraire. C’est cela, ces écrivains. Politiquement, ils ont été des lâches ou des criminels. Mais je n’ai pas le même mépris pour Morand que pour Brasillach ou Drieu, parce qu’ils ont affronté la mort. (...)

J’exprime ce que des historiens ou sociologues de renom ont exprimé bien avant moi, je pense à Gérard Noiriel, par exemple, c’est-à-dire qu’on est dans une mécanique. Celle qui a fait produire à la France les lois raciales les plus drastiques, juste après celles des nazis. La même escroquerie se déroule sous nos yeux : hier, les juifs ; aujourd’hui, les Roms, les musulmans. C’est l’invention de l’ennemi… L’histoire ne se répète pas, elle bégaie. Je ne vois pas de différence fondamentale entre la comparaison de Christiane Taubira à une guenon par une gamine dans une manif anti-mariage gay et les attaques envers les juifs dans les années 1930. (...)

Je citerai Aragon : «  Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force, ni sa faiblesse, ni son cœur. (…) Et quand il croit serrer son bonheur, il le broie.  » Tout est toujours à défendre, à reconstruire. Tout est fragile, notre démocratie aussi. (...)

Quand la déception est profonde, elle est très dangereuse. Quand je parle de trahison, je pense au tournant de la rigueur, de 1983 à 1986, les années où la gauche oublie ses marqueurs. On a marqué nos différences sur des réformes structurelles, le Smic, ou même, avec Lionel Jospin, sur les 35 heures ou la protection maladie pour les plus pauvres, mais face au mouvement capitaliste international de liquidation du tissu industriel, on n’a pas marqué de points. C’est ce que le journaliste Éric Conan a appelé «  la gauche sans le peuple  ». (...)

Nous avons, nous journalistes, une responsabilité considérable. C’est bien joli de regarder passer les trains, mais les trains, pour les faire avancer, il y a des cheminots et des aiguilleurs. Depuis quinze ou vingt ans, cette confiance accordée aux experts, comme un prolongement de l’élite politique sur les plateaux de télévision, dont le peuple se sent exclu, c’est une responsabilité. De même, l’exclusion de la culture du champ des informations, la disparition de la réflexion, du livre, sont une catastrophe. Aujourd’hui, pour m’informer, je préfère regarder un film de Ken Loach, que regarder ces chaînes d’information en continu qui sont toutes les mêmes… (...)

Il faut suivre ce qui se fait dans les creux, ailleurs que sur le réseau d’information en continu, à la marge. C’est compliqué de lutter contre cette chape, mais c’est encore possible de choisir ce que l’on va transmettre à nos enfants. Aujourd’hui, se battre sur les contenus, c’est être révolutionnaire. Est-ce qu’on veut épouser ce mouvement permanent, imbécile, cette financiarisation de tout, ou est-ce qu’on veut vivre à hauteur d’homme ?