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Le Monde
Petit manuel d’insurrection politique
16 mai 2009
Article mis en ligne le 20 mai 2009

L’Europe démocratique est hantée par le spectre de la violence politique. Des séquestrations de patrons à la multiplication d’états d’exception, l’action violente taraude les pays de l’Union. Si sa forme politisée inquiète, c’est qu’elle est désormais prohibée par nos sociétés pacifiées, indiquent les contributeurs de la revue Lignes, dirigée par Michel Surya. Car la violence est taboue depuis Mai 68, cette fin festive de l’Histoire où la France inventa la "Révolution pour rire" et la "Terreur d’opérette", ironise le philosophe Jacob Rogozinski. Ainsi Daniel Bensaïd fait-il observer que, à l’instar de Julien Coupat, Jean-Paul Sartre serait aujourd’hui emprisonné pour avoir écrit, dans sa préface aux Damnés de la terre de Frantz Fanon, qu’aux premiers temps de la révolte anticoloniale, "il faut tuer".

Entre aversion et criminalisation, c’est "l’indistinction" de la violence qui est tout d’abord préoccupante. Aux yeux d’un "Etat pastoral" chargé de préserver le troupeau démocratique des "espèces rebelles", tous les chats sont gris, assure le philosophe Alain Brossat. Du tagueur au séquestreur, du mauvais conducteur au hacker, l’amalgame est total entre le domaine des conduites et celui de la politique. A cette indistinction s’ajoute la neutralisation. La contestation violente est mise à distance, par la diabolisation, bien sûr, mais aussi par un marketing subversif incarné, selon Alain Brossat, par "l’esprit Canal+", dont l’irrévérence calculée conduit à évider toute véritable radicalité par l’autodérision distanciée.

C’est en partie le risque encouru par L’insurrection qui vient (La Fabrique, 2008), ouvrage séditieux du Comité invisible : devenir un "produit culturel de luxe", poursuit Alain Brossat, un objet de séduction pour bobos en quête de brûlots radicaux. Car, puisque la culture a remplacé la politique, le culturel s’est emparé de l’insurrectionnel....

Lignes 29 : De la violence en politique :

Nous n’en finissons pas de subir des injonctions d’avoir à nous prononcer contre toute forme de politique violente, et, plus généralement, contre la violence sous toutes ses espèces. L’aversion du public contemporain à la violence vive est constamment soutenue par la promotion de normes immunitaires dont l’effet est de jeter le discrédit aussi bien sur toutes sortes de conduites coutumières dans nos sociétés (la bagarre du samedi soir, la fessée administrée à l’enfant turbulent, la main baladeuse dans le métro) que sur l’engagement physique dans les pratiques politiques (la manifestation virant à l’émeute, le pugilat au Parlement, la grève insurrectionnelle…). En même temps, ce mouvement général de pacification des mœurs nourrit le sentiment de l’insécurité, au point que, si nos sociétés n’ont jamais été aussi « sûres », elles n’en apparaissent pas moins aux yeux d’une partie au moins de la population comme de plus en plus dangereuses....