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Peine réduite pour un violeur à Bâle : une sociologue critique la justice
Dana Liechti, Daniella Gorbunova (adaptation)
Article mis en ligne le 11 août 2021

La juge a justifié sa décision en disant que l’agression avait été relativement courte. On ne sait pas non plus dans quelle mesure la victime en souffre encore aujourd’hui, car elle ne suit pas de thérapie.

La Cour d’appel de Bâle a récemment réduit la peine d’un violeur au motif que l’agression était relativement brève. On ne saurait pas non plus à quel point la victime souffre encore aujourd’hui, car elle ne suit pas de thérapie. Qu’est-ce que cette situation vous évoque ?
Franziska Schutzbach : Ces déclarations sont basées sur l’hypothèse très discutable que la victime d’une agression doit se comporter d’une certaine manière, et que les femmes réagissent toutes de la même façon au viol.

Mais ce n’est pas le cas.
Non, toutes réagissent très différemment - certaines ont besoin d’une aide thérapeutique, d’autres ne veulent pas de cela et s’en sortent mieux en refoulant les choses. Donc si une femme agit avec force et rejet, c’est peut-être une stratégie de survie. Les juges devraient le savoir.

La juge qui s’est exprimée a également fait référence à des « signaux que la victime envoyait aux hommes ». La pauvre femme aurait joué avec le feu, car elle est devenue intime avec un homme avant que l’agression ne se produise.
Ces déclarations sont très problématiques - et exemplaires. Elles contiennent des mythes très répandus sur la violence sexuelle. Elles attribuent, même si ce n’est peut-être pas volontaire, une complicité à la victime. L’accusation implicite étant : le comportement de la femme a provoqué le viol.

Mais n’est-il pas inhabituel qu’un tribunal adopte un tel point de vue ?
Notre code pénal permet de qualifier de moindre la culpabilité d’un agresseur si la victime l’a « provoqué ». Le tribunal peut atténuer la peine si - et je cite l’article 48 du code pénal - « l’auteur de l’infraction a été sérieusement tenté par le comportement de la personne blessée ». Il est bien connu que dans les procès pour délits sexuels, cela conduit fatalement à ce que la victime soit souvent tenue pour au moins partiellement responsable. On devrait s’attendre, dans un pays et dans un canton modernes, à ce que le personnel des tribunaux soit formé à ces questions et comprenne que le droit pénal, dans de tels cas, ne doit pas être interprété comme une complicité de la victime.

Il est étonnant que la présidente de la Cour, une femme, tienne de tels propos.
Les femmes ont également internalisé le sexisme. Souvent, elles ne s’opposent pas à la misogynie parce qu’il est avantageux pour elles de soutenir le patriarcat dans une société orientée vers les hommes et la masculinité. Je ne veux pas me contenter de critiquer, nous en faisons tous partie, de cette société patriarcale. Mais il faut beaucoup de sensibilité pour reconnaître son propre sexisme. (...)

Lire aussi :

Bâle - Un tribunal réduit la peine d’un violeur car sa victime avait « joué avec le feu »

Le 1er février 2020, un homme de 33 ans avait violé une de ses connaissances dans le hall de son immeuble, après une soirée en boîte. Condamné l’an dernier en première instance à 51 mois de prison, le violeur a vu vendredi sa peine réduite en appel à 36 mois, dont la moitié avec sursis. De nationalité portugaise, il sera par ailleurs expulsé du pays dès sa libération prochaine.

Un viol « relativement court »

La Cour d’appel de Bâle a certes confirmé la condamnation, mais elle a jugé que la peine devait être atténuée car « la victime avait joué avec le feu » en « envoyant des signaux aux hommes », ainsi que parce que le viol avait été « relativement court » et n’avait pas entraîné de blessures physiques irréversibles pour la victime.

Parmi les « signaux » évoqués par la présidente du Tribunal, il y a le fait que la femme, alors en boîte, avait embrassé un autre homme avec qui elle était partie aux toilettes, devant les yeux de son futur violeur, ce que la Cour interprète comme relevant d’une part de responsabilité dans le viol qui a suivi. « C’est surtout un très mauvais signal envoyé par le Tribunal, et un jugement incompréhensible », a réagi l’avocate de la victime.

Verdict « d’un siècle en arrière »

Les réactions ont été vives non seulement sur les réseaux sociaux, mais également parmi la classe politique. (...)

Andrea Caroni (PLR/AR) se montre tout aussi consterné. « Une femme peut avoir des relations sexuelles avec dix hommes si elle le souhaite, ça ne donne pas droit au onzième de la violer », dit-il. Quant à Ronja Jansen, présidente des Jeunes socialistes, elle dénonce « un amalgame néfaste entre des actes consensuels et un viol », ainsi qu’une culture du viol qui subsiste dans les esprits.

« Je n’ai rien à me reprocher »

La victime a également décidé de réagir publiquement, notamment pour remercier les nombreux messages de soutien qu’elle a reçus via son avocate, qui indique que la victime n’avait pas tout de suite réalisé la portée du verdict. « J’ai même fini par me demander si j’étais vraiment en partie responsable de m’être fait violer. Merci à tous ceux qui m’ont soutenue de m’avoir rassurée et convaincue que je n’ai vraiment rien à me reprocher », a notamment déclaré la victime.

« Cimenter les mythes »

La femme a notamment été soutenue par Agota Lavoyer, qui dirige une fondation d’aide aux victimes de violences sexuelles. « Ce jugement cimente les mythes sur le viol, exonérant l’agresseur et accablant la victime, dénonce-t-elle. (...)