
Film choral construit autour de la parole parfois inédite de victimes de prêtres, “Pédophilie, un silence de cathédrale” (diffusé ce mercredi sur France 3) met au jour avec finesse les rouages du silence et de sa lente et nécessaire déconstruction. Salutaire.
Le 12 janvier 2016, d’anciens scouts victimes des agissements pédophiles de l’abbé Bernard Preynat, réunis dans l’association La Parole libérée, donnent une conférence de presse à Lyon. C’est la première fois, en France, que des victimes s’unissent pour dénoncer à visage découvert les agissements d’un prêtre. Partant du combat de ces « détonateurs », Richard Puech, journaliste à l’agence Capa, a rencontré une trentaine de victimes de prêtres pédophiles à travers tout le pays. De leurs témoignages, il tire un film choral, Pédophilie, un silence de cathédrale, qui met minutieusement à jour la mécanique du silence qui vicie l’Eglise. Dans ce film remarquablement réalisé, Richard Puech nous donne aussi à voir les ressorts de la rupture du silence, et le rôle salvateur qu’a joué La Parole libérée. (...)
Jamais un documentaire n’avait permis à cette parole de se déployer autant...
La parole de victimes de pédophiles est particulièrement difficile à entendre. On sait que l’on va être choqué, heurté, donc quand on voit le mot « pédophilie » sur un programme télé, on n’a pas forcément envie de regarder. Mais j’ai fait le choix d’ouvrir un espace d’expression à celles et ceux dont les mots avaient été trop longtemps négligés ou étouffés. Il a fallu trouver le bon dosage, que les choses soient dites mais que le film ne soit pas répulsif. D’emblée, j’ai pris leur souffrance et leur colère dans la gueule. Il me revenait ensuite de transformer celà en un film manifeste qui appelle à libérer la parole.
France 3 vous a suivi de bout en bout ?
Elle m’a fait confiance, m’a donné des moyens et un an pour tourner le film. Du coup, j’ai pu prendre le temps et donc respecter les personnes qui acceptaient de prendre la parole. J’ai aussi veillé à ce qu’ils soient le mieux filmés possible. (...)
“L’idée était de faire un film utile, surtout pas un film contre l’Eglise.”
Comment les avez-vous convaincus de parler à visage découvert ?
C’était une condition sine qua non et toutes mes interviews commencaient par cette question : « Pourquoi aujourd’hui acceptez vous de témoigner à visage découvert ? » Certains, comme Claudine, ont mis plus de temps que d’autres à accepter, mais tous étaient convaincus de l’importance de parler. Il fallait que ça sorte pour ne plus être rongés de l’intérieur et encourager d’autres victimes à parler. (...)
Il ne s’agit pas d’un film sur la pédophilie, mais sur la pédophilie dans l’Église. Lorsqu’on subit des violences sexuelles pendant l’enfance, le traumatisme est tel qu’il est extrêmement difficile de s’en sortir. Cela est encore renforcé quand l’auteur des violences est un membre de l’Église, un adulte sacralisé. Les fondateurs de La Parole libérée sont des Lyonnais bien intégrés socialement, qui ont fondé une famille, ils sont intelligents, équilibrés, pas ravagés. Mais tous sont marqués. Ils m’ont tous dit « Ça ne se voit pas, mais sachez-le, nous sommes tous marqués à vie ». (...)
Votre film regorge de témoignages qui disent l’inaction de l’Église et en décortique les ressorts profonds. Pourtant jamais sa responsabilité n’a été autant pointée, jamais la parole des victimes n’a été autant médiatisée. Peut-on dire que nous sommes à une période charnière ?
Benoît XVI puis François ont parlé de « tolérance zéro » pour les prêtres pédophiles, une commission pontificale pour la protection des mineurs a bien été créée... mais il y a toujours un décalage entre le discours, les annonces, et les faits. J’ose pourtant croire que toutes ces prises de paroles qui émergent participent d’une évolution globale. Il suffit de voir ce qui se passe depuis quelques semaines au Vatican. Le voyage du pape François au Chili en janvier dernier a été monopolisé par un seul thème, la pédophilie. C’est devenu le sujet au Vatican. Mon documentaire est diffusé pendant l’Assemblée des évêques de France, à Lourdes. Monseigneur Crépy, président de la récente cellule permanente de lutte contre la pédophilie, s’est libéré de ses obligations pour participer à l’enregistrement du débat qui suivra la diffusion du documentaire. Il avait refusé de prendre part au débat de Cash investigation, il y a tout juste un an. Il y a une évolution… L’idée était de faire un film utile, qui puisse encore contribuer à faire bouger les choses, à la prise de conscience générale. Surtout pas un film contre l’Eglise. Certains de ses membres sont au courant du propos du film, nous soutiennent, et sentent qu’il est utile que ce genre de films existent.