
S’il y a bien une chose à retenir de Parcoursup, c’est que l’algorithme n’est pas bienveillant. En fait, la machine ou le traitement automatisé ne peut pas être bienveillant. Parce qu’il ne permet pas l’interaction, tout simplement, pas d’argumentation, pas de cas particulier, pas de recours ou si peu et tellement balisé.
Rage against the machine
La neutralité de la machine n’est que celle que l’on veut bien lui accorder. La machine ne fait que le boulot pour laquelle elle a été programmée et le fait suivant les critères et les barèmes qu’on lui a assignés. De ce point de vue là, la machine n’est pas si neutre que cela, elle agit en fonction des intentions de ceux qui se cachent derrière.
En résumé, une machine qui trie en fonction des aptitudes à faire du vélo ne pourra en aucun cas être bienveillante pour les poissons. Sa seule neutralité, en fait, c’est de servir de paravent à l’humain ou au groupe d’humains qui a décidé délibérément d’exclure les poissons de la compétition.
L’absence de bienveillance de la machine est parfois compensée par la possibilité — souvent complexe et écrite en tout petit hors de la zone d’affichage de la page — de poser un recours contre la décision qui se cache derrière la fausse rationalité de la machine. En fait, ce qui rend encore supportable l’inhumanité de la machine, ce sont ses interstices et ses petits bugs. Et la possibilité de contester le verdict de la machine.
En l’absence de tout recours, la machine devient la méthode particulièrement malveillante d’administrer l’arbitraire. (...)
C’est une mécanique froide qui ne sert qu’à imposer le désordre absurde de l’arbitraire en le déguisant sous les oripeaux toujours mensongers de la neutralité de la machine.
L’automatisation du tri des destins de nos enfants n’est pas différente en soit de celle des machines à trier et broyer les poussins (...)
De ce point de vue-là, la seule utilité de Parcoursup est de rendre invisibles ceux qui décident et gèrent le vaste programme d’eugénisme social en cours.
Le régime de la rareté
Dans sa mécanique même, Parcoursup est également conçu pour que tous les triés soient en compétition les uns avec les autres. Là aussi, c’est toujours le même mécanisme à l’œuvre dans la perspective des confiscateurs. (...)
ParcourSup est un pur produit du capitalisme : censé optimiser l’accès à l’éducation supérieure — convoitée parce que garantissant plus ou moins l’insertion sociale —, le logiciel se révèle au final un outil de plus de la gestion d’une file d’attente qui ne cesse de s’allonger aux portes de la prospérité toujours promise et jamais réalisée. La seule chose qu’organise concrètement Parcoursup, c’est le régime de la rareté amplifié à son extrême, puisque même ce qui était accessible par défaut, comme les universités, devient objet de compétition, de pénurie et d’exclusion. (...)
C’est absolument la même logique à l’œuvre derrière les plans santé qui, en réduisant systématiquement l’offre, ne tendent pas tant à vouloir limiter la demande par absence d’offre, mais bien à réduire les demandeurs eux-mêmes.
Dans ce contexte, la malveillance qui guide la mise en place de Parcoursup se révèle dans toute sa splendeur par la mise en place d’un dilemme du prisonnier à somme négative à l’échelle d’une génération : celui qui attend le plus longtemps est celui qui a le plus de chances d’obtenir ce qu’il veut, tout en sachant que sa victoire personnelle s’assoit sur une montagne de renoncements, d’espoirs déçus et de perspectives détruites. (...)
Eugénisme psychologisant
La France est aujourd’hui le pays champion de l’OCDE… en inégalités scolaires. ParcourSup est le clou qui finit de refermer le cercueil démocratique. (...)
Ainsi, voilà le défilé des parents angoissés dans le bureau du psychologue scolaire qui viennent réclamer à cor et à cri dérogation et école spécialisée afin de favoriser l’épanouissement de leur petit génie, à savoir : le mettre à l’écart et l’abri de l’influence nocive des médiocres majoritaires et de cette école de masse qui ne respecte décidément pas les aspirants premiers de cordée.
Et voilà comment les familles qui bénéficient déjà des meilleures conditions d’existence et du meilleur environnement scolaire cherchent encore à tirer leur avantage vers le haut en soutirant encore plus de ressources à la collectivité au détriment de tous les autres qu’ils traitent généralement par le mépris le plus complet. Ce sont évidemment les mêmes qui doivent être favorisés par les critères de tri de Parcoursup, parce qu’ils méritent d’avoir tous les choix quand les autres n’ont que la possibilité de renoncer pour espérer ne pas être éjectés. (...)
À aucun moment, par contre, ne se pose la question de savoir si l’école — telle qu’elle est pensée et conçue aujourd’hui — est encore faite pour les enfants en général, s’il s’agit là du lieu de l’épanouissement et de développement des futurs citoyens et de l’ensemble de leurs nombreuses et très variables potentialités ou si c’est juste un immense centre carcéral voué au tri sélectif de jeunes humains en voie de robotisation avancée.