Le gouvernement et la majorité à l’Assemblée nationale ont refusé que des dispositions limitant le « pantouflage » des très hauts fonctionnaires soient insérées dans la loi de moralisation de la vie publique en cours d’adoption. A tort ou à raison ?
Au cours de la séance publique du 11 juillet 2017 consacrée aux projets de loi ordinaire et organique « rétablissant la confiance dans la vie publique » (c’est leur titre encore provisoire), le Sénat a inséré, dans le projet de loi ordinaire, quatre dispositions nouvelles relatives à la déontologie des fonctionnaires. Ces dispositions nouvelles venaient limiter de manière drastique et inédite les allers-retours entre l’exercice d’une fonction publique et celui d’une activité privée – le « pantouflage » (v. ici, articles 2 ter B à article 2 ter E).
Ces amendements sénatoriaux avaient pour objet, selon leurs auteurs, de « prévenir l’utilisation à des fins lucratives d’un réseau ou d’une clientèle constitués dans le cadre de l’exercice et pour l’objet d’une mission de service public ». Ils interdisaient qu’un fonctionnaire puisse exercer des activités de conseil ayant trait, directement ou indirectement, aux missions de service public attachées à ses anciennes fonctions telles qu’elles étaient exercées au cours des trois années précédent le pantouflage. Ils avaient été adoptés malgré l’avis défavorable du gouvernement, la Garde des Sceaux estimant qu’elles constituaient des « cavaliers législatifs », c’est-à-dire des dispositions sans lien, même indirect, avec celles figurant dans le projet de loi initial. Or, en vertu d’une jurisprudence de 1985 (fondée sur les règlements des assemblées auxquels l’article 44 de la Constitution renvoie : le Parlement est la source de sa propre impuissance !), le Conseil constitutionnel, s’il est saisi avant la promulgation d’une loi, censure toujours « d’office », c’est-à-dire même si aucun moyen n’est soulevé en ce sens, les amendements parlementaires dépourvus de tout lien avec le projet de loi initial, qui n’entrent pas dans son périmètre (...)
Au cours de la séance publique à l’Assemblée nationale dans l’après-midi du 26 juillet 2017, dans un hémicycle assez désert (moins de 180 députés sur les 577), la Garde des Sceaux a réitéré son avis défavorable de principe à tout amendement relatif au pantouflage, de sorte que, concrètement, cette séance n’aura pas fait avancer d’un pouce le contenu de deux textes en cours de discussion.
Par suite, la future loi ordinaire « de moralisation » ne contiendra pas de dispositions relatives au « pantouflage ».
I - Juridiquement, les arguments des uns et des autres se défendent. (...)
II - Politiquement, sénateurs et députés autres que ceux de la majorité ont raison de dire que les textes « de moralisation » seront déséquilibrés.
A. Il est pour le moins curieux que des lois censées créer un « choc de confiance » en faveur des décideurs publics ne comportent aucune disposition relative au pantouflage des hauts fonctionnaires. (...)
comme le disait Annick Girardin, ministre de la fonction publique dans le précédent quinquennat : « l’ENA et les autres grandes écoles ne sont pas là pour former les futures élites des entreprises privées ».
Tels qu’en cours de rabotage par l’Assemblée nationale – maintien du « verrou de Bercy », vraie/fausse réforme de l’IRFM dont le contenu sera précisé par les règlements de chaque assemblée, vraie/fausse réforme de la réserve parlementaire, maintien des emplois familiaux « croisés » sous réserve de déclaration préalable, maintien sans plafonnement des revenus d’un cumul entre l’activité de parlementaire et une activité de conseil, réduction de la notion de conflits d’intérêts des parlementaires par l’exclusion des conflits d’intérêts public/public, etc –, les deux lois de « moralisation », pour utiles et bienvenues qu’elles seront, ne permettront probablement pas à elles seules de créer ce « choc de confiance » annoncé. (...)
Les textes en cours d’adoption risquent donc de manquer leur objet en n’abordant pas ce qui, aujourd’hui, pose véritablement difficulté au rang infra-constitutionnel, et qui nécessite l’intervention d’une loi (ou simplement d’un décret) pour faire l’objet d’une régulation renforcée et actualisée, à savoir la régulation du pantouflage des hauts-fonctionnaires. (...)
Il faudra donc attendre pour savoir à quelles conditions et selon quelles modalités renouvelées (ou pas) les fonctionnaires de Bercy, du Conseil d’Etat, les magistrats de la Cour des comptes, les anciens élèves de polytechnique, etc… pourront « vendre » leur carnet d’adresses et leur expertise acquise aux frais de l’Etat à des entreprises privées françaises ou étrangères.
On peut d’ores et déjà suggérer quatre pistes (...)