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« On ne peut pas empoisonner les gens comme ils l’ont fait » : l’intrigante impunité d’un groupe agroalimentaire
#agroalimentaire #Triskalia
Article mis en ligne le 18 novembre 2022
dernière modification le 17 novembre 2022

Voilà douze ans que deux salariés de la coopérative agricole Triskalia ont porté plainte, suite à leur intoxication aux pesticides. Sortis victorieux de leurs démarches côté civil, ils attendent toujours que la justice pénale se prononce.

Les victimes de pesticides auront-elles droit un jour à un procès pénal ? Stéphane Rouxel et Laurent Guillou le souhaitent ardemment. Anciens salariés de la coopérative agricole Triskalia, ils ont été intoxiqués en février 2009 sur leur lieu de travail, puis en février et mai 2010 [1]. Quelques mois plus tard, ils ont déposé plainte pour empoisonnement. D’abord classée, puis jugée irrecevable avant d’être finalement instruite, leur plainte a donné lieu à une longue enquête, qui a connu divers rebondissements avant d’être définitivement close en avril 2022. Ils attendent maintenant l’avis du procureur. Va-t-il décider de poursuivre, ou non, les personnes mises en cause ?

Est-ce que Triskalia, aujourd’hui fondue dans l’immense groupe agroalimentaire Eureden, devra rendre des comptes ? (...)

Saignements de nez, céphalées et maux de ventre

« Le procureur devrait nous donner une réponse. Cela dure quand même depuis 2010 », retrace Stéphane Rouxel. Cette année-là, « deux petits ouvriers portent plainte contre une grosse boîte pour empoisonnement », explique-t-il pour résumer « l’affaire ». Tout a commencé en février 2009, à Plouisy, commune située à une quarantaine de kilomètres à l’ouest de Saint-Brieuc, dans les Côtes-d’Armor (...)

L’inspection du travail s’en mêle

En plus de la plainte pour empoisonnement de Stéphane et Laurent, plusieurs alertes sont envoyées au procureur par l’inspection du travail. Les courriers qui lui sont adressés expliquent que plusieurs salariés de Nutrea ont été « victimes de maux de tête, de douleurs au ventre, de saignements de nez, de picotements de la langue, de troubles du sommeil ». L’un d’eux évoque le fait que le produit a été injecté directement dans les gaines de ventilation pour diffuser les produits, sans dosage. « Plusieurs infractions délictuelles au Code du travail » sont relevées par l’inspection du travail. (...)

en avril 2021, le procureur prononce un non-lieu. La décision est cinglante pour Stéphane Rouxel et Laurent Guillou. Mais aussi pour tous ceux et celles qui se tiennent à leurs côtés depuis des années. Parmi eux : Claude Le Guyader, ancien chauffeur-livreur pour Nutrea. Victime d’une intoxication aux pesticides à la fin 2009, il souffre depuis d’importantes difficultés respiratoires, douleurs diverses et céphalées récurrentes. Sa demande de reconnaissance en maladie professionnelle, déposée en 2010, a été obtenue en 2018. En 2019, il obtient la reconnaissance du caractère abusif de son licenciement. Il réclame maintenant la reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur. Elle lui a été refusée une première fois en décembre 2020. Mais il a fait appel. L’ancien ouvrier, épuisé par ces années de procédure pense que « pour les petits comme nous, il n’y a pas de justice. C’est tout. C’est ça que je retiens moi ». (...)

Pouvoir tourner la page

Pour Stéphane et Laurent, un procès pénal serait une façon de tourner définitivement la page d’une grave atteinte à leur santé, d’un bouleversement de leurs vies privées et professionnelles. (...)

Bien sûr, il y a eu le civil. Où Stéphane et Laurent ont tout gagné, en dépit des nombreux recours et appels de leurs employeurs : reconnaissance de leur intoxication comme accident du travail, faute inexcusable de leur employeur, requalification de leur licenciement pour inaptitude comme étant abusif. Mais le civil, « ce n’est pas pareil », dit Stéphane. La justice civile ne permet pas de condamner l’auteur d’un éventuel délit. « Ce qu’on réclame, c’est un peu de justice. Que les personnes qui nous ont ordonné de faire ce qu’on a fait soient punies. Tout le monde doit avoir le droit de travailler dignement, sans être intoxiqué », pense Stéphane.
La France accablée par l’Europe

Lassées d’attendre, les victimes de Triskalia jouent une nouvelle carte en 2016. Elles saisissent la commission des pétitions, qui dépend du Parlement européen. « Cette démarche peut être enclenchée par tout citoyen européen quand il y a une infraction aux directives européennes, explique Michèle Rivasi, députée européenne écologiste, engagée aux côtés des victimes de Triskalia. En l’occurrence, plusieurs directives n’ont pas été respectées, concernant l’utilisation des pesticides, et la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs [2]. » (...)

À Bruxelles, l’affaire fait grand bruit. Une mission se déplace carrément en Bretagne, en juin 2018, pour venir enquêter, et elle rend un rapport accablant pointant divers dysfonctionnements ; en particulier concernant le stockage des pesticides dans les entrepôts des distributeurs et revendeurs : 70 % des inspections réalisées chez les distributeurs et les revendeurs de pesticides bretons révèlent des non-conformités. (...)

Interpellé, le gouvernement français laisse traîner. « La Commission des pétitions ne peut pas clôturer son rapport final, explique Serge Le Quéau, parce que la France n’a pas répondu à toutes ses questions, en particulier le ministère de l’Agriculture. » Aux dernières nouvelles, tout pourrait être bouclé en février 2023, mais il peut toujours y avoir de nouveaux atermoiements. « C’est exceptionnellement long, je n’ai jamais vu ça », rapporte Michèle Rivasi, ajoutant que « quand il sera clos, le rapport final sera remis au pétitionnaire et envoyé au tribunal de Saint-Brieuc ». (...)

Celui-ci en tiendra-t-il compte ? (...)