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« On n’a pas pensé que les enfants adoptés deviendraient des adultes »
Warda Mohamed Journaliste et co-fondatrice du média Ehko.info.
Article mis en ligne le 16 janvier 2020

« Enfants à (ne pas) adopter » : en 2005, le magazine Courrier international consacrait un numéro à la question de l’adoption suite au tsunami de décembre 2004. En Une, une petite fille vêtue de rose, aux couettes défaites, probablement issue des pays dévastés par cette catastrophe naturelle. Cette accroche, saisissante, allait à l’encontre du discours habituel sur l’adoption : il évoquait la dimension politique de cette démarche. C’est aussi le but de la réalisatrice Amandine Gay qui veut ouvrir le débat en France.

« Née sous le secret »

Amandine Gay travaille sur un livre et surtout un film dont le titre provisoire est « Un enfant à soi ». « Le film donnera la parole aux adultes de 20 à 75 ans, avec recul. On questionne la vision occidentale et post-révolution industrielle de l’enfant comme propriété. Le sujet est à la fois intime et politique, alors on fait attention. L’objectif est qu’ils ressortent mieux de cette expérience, certainement pas de faire éclater des cellules familiales. » (...)

Avant de lancer ce projet, la réalisatrice a repris ses études. « La solidité conceptuelle vient du travail de recherche antérieur. J’ai toujours voulu consacrer un film à l’adoption. Mais d’abord, je devais opter pour une approche dépassionnée, il y avait une mise à distance à faire. Le travail universitaire n’était pas obligatoire pour alimenter le travail créatif mais je le trouve utile, même si je retourne à l’émotion, l’empathie, j’aime avoir des bases solides. (...)

Ainsi, Amandine Gay peut se targuer d’une légitimité universitaire, qui vient appuyer son expérience personnelle. « Je suis née sous X en 1984 à Lyon », raconte-t-elle. « J’ai grandi à Montanay, près de Lyon. Ma mère était institutrice et mon père cantonnier. J’ai un grand frère noir de 45 ans. Mes parents sont Blancs, j’ai eu la chance de grandir dans une famille consciente de l’importance des origines. J’ai eu des poupons noirs, mes parents avaient un ami diacre guadeloupéen, j’allais dans son église, puis j’ai commencé le basket à 8 ans. Mes parents ont toujours veillé à ce que j’aie une proximité avec des personnes noires. Ils étaient sensibles à ce qu’on ait accès à la culture noire et à respecter notre différence, en revanche, ils n’avaient pas conscience du racisme systémique. » Dans son parcours se croisent les questions de l’adoption et de la découverte de « l’identité noire ».
« Je suis issue d’une génération où on ne cachait plus le fait d’avoir été adoptée. Je n’ai pas de souvenir du jour où on me l’a dit. Mes parents m’ont simplement expliqué ‘’Ta maman ne pouvait pas s’occuper de toi, on ne pouvait pas avoir d’enfants, tu es arrivée dans notre vie.’’ En revanche, la connaissance du fait que j’étais Noire s’est faite en grande section de maternelle, quand un enfant m’a dit ‘’Je te donne pas la main car tu es Noire’’. La race est une construction sociale, la norme c’est ce qu’on connaît, nos parents ne nous ressemblaient pas, notre entourage était composé de Noirs et de Blancs et c’est à l’école que l’on m’a posé des questions : ‘’Pourquoi tes parents sont Blancs ? Où est ta vraie maman ?’’ » La petite fille va se passionner pour l’histoire. « La vie des personnes adoptées est marquée par le rapport aux archives, ce qui a trait au passé, la famille biologique… Petite, à l’école, j’adorais l’histoire : apprendre l’histoire en général donne une connaissance de soi. »
Et c’est à 17 ans qu’elle entreprend la démarche « d’ouverture de son dossier » pour découvrir les conditions de sa naissance. (...)

« j’ai le droit de savoir, du coup je veux savoir mais quand on est né sous X, sous le secret, on sait qu’il y a très peu de chances d’obtenir des infos. » Elle se lance seule « car c’est une partie de l’histoire qui m’appartient, c’est ma vie d’avant la rencontre avec mes parents. »
Tirer le fil de son histoire

Amandine Gay se souvient de cette journée particulière de novembre 2002. « Cela s’est passé dans un horrible bâtiment de la DDASS, il n’y avait aucun accompagnement en amont. J’avais décidé d’être seule mais une amie qui m’a appelée au moment où je m’y rendais a insisté pour m’accompagner. Elle a bien fait. L’assistante sociale m’a emmenée dans une salle et demandé ‘’Vous voulez être seule ou que je reste ?’’ » Elle restera seule. « Je n’y suis pas allée en me disant que j’y trouverai le nom de ma mère mais mes origines. » Elle trouvera des informations, qui suscitent encore plus d’interrogations. (...)

La jeune femme prévient : « Il faut avancer à son rythme. Quand on voit arriver son dossier, il est illusoire de penser qu’on aura toutes les réponses. On tire un fil sans savoir ce qu’on va trouver. Certaines retrouvailles tournent à l’horreur. Ma démarche est très privée, je veux la mener seule et avant que mes parents biologiques meurent. » Autre choc pour la jeune adulte : « Je n’ai pas eu le droit d’emporter l’original de mon dossier, juste de le consulter un petit moment et faire des photocopies. Je voulais le prendre, je n’ai rien sur ma vie et même mon dossier original je ne pouvais pas l’avoir ! J’avais peut-être besoin de m’accrocher à quelque chose, je me suis sentie dépossédée de mon histoire. Je suis toujours en désaccord avec cette façon de faire. La fonctionnaire était froide, je suis sortie de là dévastée. » Depuis, il y a eu du changement « parce que des personnes adoptées ont milité. Un accompagnement psychologique est prévu en amont et à Lyon par exemple, il existe désormais une Maison de l’adoption. »

Comment passer du personnel, de l’intime, à un travail de recherche puis un film ? Plus simplement qu’il n’y paraît au premier abord, puisque le sujet est politique. (...)

« Il y a énormément de questions et de chantiers sur la question de l’adoption », prévient-elle, des questions spécifiques auxquelles seules les personnes concernées ont à faire face. « L’idée qu’on allait devenir des personnes hybrides et que l’on ne serait pas seulement assimilés n’a pas été pensé. »
Ce qui intéresse Amandine Gay, « c’est le droit des enfants et plus tard des adultes » et justement, de nombreuses interrogations légales entourent l’adoption en France et internationale.
De Pétain à aujourd’hui, un sujet éminemment politique

Selon la loi, en France – « l’un des pays les plus adoptants au monde » rappelle Amandine Gay – toute femme peut décider d’accoucher anonymement, « sous X ». Après un délai de 2 mois et si la mère n’est pas revenue sur sa décision de reprendre l’enfant, il devient pupille de l’État et peut alors être proposé à l’adoption. La réalisatrice se dit « très ambivalente sur la loi de 1941 qui crée le statut des nés sous X, cette loi qui portait sur l’accouchement anonyme. Elle a été instituée par Pétain pour les enfants nés de mères françaises et de soldats allemands. » En effet, ce décret-loi du 2 septembre 1941 sur « la protection de la naissance » pris par le maréchal Pétain entérine l’accouchement sous le secret tel qu’il existe toujours aujourd’hui, en prolongement d’un décret de 1939. Il a subi plusieurs modifications depuis et reste au cœur du débat. « Les mères sont libres de laisser quelque chose, ou rien. On a dû insister sur le fait que les enfants adoptés deviennent des adultes et qu’ils subissent un déni de droit, celui de connaître leur origine et au moins les antécédents médicaux. La loi a été changée en 2003. C’est un problème de santé publique. »

En France, les adoptions nationales sont en nette diminution. « Je suis d’une génération où les nés sous X sont majoritairement Noirs et Maghrébins. A partir des années 1990/2000, il y a eu une chute, aujourd’hui, moins d’une centaines d’enfants naissent dans ces conditions chaque année. Dans les années 1900, 150 000 personnes étaient abandonnées chaque année. Cette baisse est due à l’accès à la contraception et à l’interruption volontaire de grossesse, au recul de l’âge auquel les femmes ont des enfants et à la baisse de la fertilité en Europe. Ces facteurs induisent le nombre de bébés blancs disponible, qui chute drastiquement dans les années 1970/1980. »

De son côté, l’adoption internationale « commence en 1945 avec la Seconde guerre mondiale, cela concerne donc des générations entières : ces enfants sont devenus grands-parents. La plupart des adoptés sont aujourd’hui des adolescents ou des adultes. Cela change le rapport aux institutions. » (...)

Avant tout, comment nommer les choses, les personnes concernées ? « Il existe énormément de façon de nous disqualifier dans le débat : en nous appelant ‘’enfants’’ par exemple. Les personnes adoptées militent contre le terme d’enfant adopté, au profit de celui de ‘’personne’’. »
Ensuite, « préférer le terme de ‘’séparation’’ à celui d’‘’abandon’’, surtout dans les cas d’adoption internationale, où le différentiel économique, les rapport Nord/Sud jouent un rôle. Les adoptions se font dans des pays en guerres, en proie à la famine, aux catastrophes naturelles, aux épidémies… » Amandine Gay appelle donc à réfléchir « au malentendu sur les conditions de l’adoption (...)

Pour la réalisatrice, « les personnes adoptées sont adultes, en mesure de parler, de demander des comptes à leurs familles et leur pays de départ et d’arrivée. Tout ceci est complètement nouveau, les institutions ne suivent pas, n’ont pas de moyens or en France, des milliers de personnes veulent connaître leurs origines. Aucun suivi ni financement n’est prévu pourtant la France a eu une politique nataliste, qui passait aussi par l’encouragement à l’adoption et nous a fait venir, avec un but : apporter de la vitalité au pays. » (...)

Entre 1962 et 1984, le Bureau des migrations des départements d’outre-mer (Bumidom) a déplacé 2 015 mineurs réunionnais présentés comme relevant de l’aide sociale à l’enfance en métropole. Ces enfants de 5 à 15 ans ont été répartis dans 83 départements, la Creuse a à elle seule accueilli 215 enfants. Une commission d’information et de recherche historique mise en place en 2016 a rendu un rapport détaillant notamment les conditions de ces déplacements forcés, les mauvais traitements subis par les enfants et pointe la responsabilité de l’État français. (...)

Des scandales hier, de lourdes conséquences aujourd’hui

D’autres scandales ont suivi. Celui de « L’Arche de Zoé » notamment, du nom de cette association dont le président et des membres avaient tenté de faire venir illégalement en France 103 enfants tchadiens retirés à leurs parents et présentés comme orphelins du Darfour. (...)

avec ce nouveau projet, Amandine Gay veut « questionner l’approche de justice reproductive ». « Il interroge les conditions de séparation des femmes pauvres ou marginalisées des Nord et des Sud avec leurs enfants : comment des enfants sont-ils rendus disponible à l’adoption ? Pourquoi un groupe peut adopter ou non ? Les enfants coréens sont les plus demandés (et aussi les plus »coûteux ») sur le marché de l’adoption internationale, on ne peut s’empêcher de penser aux stéréotypes positifs mais tout de même raciste selon lequel ces enfants seraient plus sages, plus intelligents, etc, après les enfants blancs… Les sociétés seront égalitaires quand des Coréens adopterons des Blancs. »

Et chaque question en soulève une autre : « Quand on fait des recherches sur Google sur le ‘’parcours du combattant’’ lié à l’adoption, les résultats concernent les parents. Personne ne se demande pourquoi ils ne se déplaceraient pas dans le pays de l’enfant, pourquoi ne deviendraient-ils pas une minorité, pour épargner l’enfant ? Les candidats à l’adoption ne réalisent pas que l’enfant va devoir vivre à l’étranger, devenir racisé, changer sa langue, sa nourriture, sa culture… et avoir de nouveaux parents. »

Alors, pour la réalisatrice, il faut « travailler sur l’empathie, ‘’imagine si on t’avait déplacé toi, fait changer de pays ?’ »’ et s’interroger sur la démarche même de l’adoption. (...)

Enfin, un sujet également peu abordé : l’abandon des enfants et personnes adoptées. (...)

La démarche d’Amandine Gay et de toutes les personnes adoptées qu’elle évoque révèle que les enfants et personnes adoptées ne sont jamais au centre, l’attention est toujours focalisée sur les parents. Pour cette raison, elles ont décidé de prendre la parole. (...)

La plus grosse association de personnes adoptées en France aujourd’hui s’appelle « La Voix des Adoptés ». Elle siège au sein de plusieurs institutions dont l’Agence Française de l’Adoption (AFA). » Leur but : « faire entendre les intérêts des adoptés, mettre par exemple en place des fonds dédiés aux adultes pour les recherches – que l’État prenne en charge un billet de retour ne me paraît pas aberrant puisqu’il nous a fait venir -, passer de l’orientation des candidats à l’adoption à celles des adolescents et adultes adoptés, pour mieux tenir compte des besoins. » (...)

Pour ce sujet là encore original, la question des financements se pose. Et un défi particulier se pose à la réalisatrice, « la transition du »guérilla film making » à un mode de production classique. (...)
Amandine Gay part d’elle, de son vécu, de ses expériences, pour donner la parole à celles et ceux à qui elle est si rarement donnée au cinéma : les personnes directement concernées. Elle mêle l’intime au politique, naturellement, à la frontière où l’histoire personnelle rencontre la grande Histoire. Et à l’intersectionnalité des problématiques de race, classe et genre qui lui sont chères et encore peu explorées en France.