Le milieu associatif engagé dans la défense des droits humains, l’écologie ou la solidarité fait face à de multiples attaques des pouvoirs publics français qui mettent clairement en péril sa liberté d’expression et d’action, voire l’existence même de nombreuses structures. L’Observatoire des libertés associatives vient de publier un rapport alarmant : état des lieux d’une répression en cours.
« Quelle reconnaissance et quel respect par les autorités publiques de la liberté d’action et de critique des associations ? » Une telle question ne devrait même pas se poser. Et pourtant, elle est au cœur du premier rapport de l’Observatoire des libertés associatives créé en mars 2019. Les neuf associations [1] et les juristes, sociologues, économistes ou politologues composant l’observatoire pointent 100 cas d’associations dont les activités ont été réprimées, restreintes voire entravées par les pouvoirs publics.
Les cas les plus médiatisés sont assez éloquents : les militants opposés au centre d’enfouissement des déchets nucléaires de Bure étroitement surveillés, harcelés et poursuivis en justice, la répression féroce envers la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, ou les soutiens aux migrants poursuivis pour délit de solidarité, dont l’emblématique Cédric Herrou. Des dizaines d’autres exemples plus discrets permettent de « mettre à jour un phénomène systémique qui manque encore de reconnaissance institutionnelle ». (...)
Depuis 2015, l’escalade répressive est indiscutable (...)
Des mesures liées à l’état d’urgence sont entrées dans le droit commun, Nuit debout et les manifestations contre la loi Travail en 2016 ont été violemment réprimées, tout comme le mouvement des Gilets jaunes. Sans oublier le contexte global de défiance des citoyens envers les pouvoirs publics.
Yann Manzi, fondateur de l’association Utopia 56 qui vient en aide aux migrants à Calais, Paris et Grande-Synthe, a vu et vécu cette escalade sécuritaire depuis la création de l’association humanitaire en 2016 (...)
Depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron, nous assistons à un durcissement de la politique migratoire et les associatifs sont encore plus empêchés de travailler. Avec Gérald Darmanin au ministère de l’intérieur, nous constatons un tour de vis sécuritaire très agressif. »
Expulsions forcées des lieux de vie, destructions des tentes et duvets, une pluie d’amendes, des arrêtés municipaux empêchant la fixation de lieux de distributions alimentaires, intimidations… Le harcèlement ou les menaces envers certaines associations ont continué pendant le confinement, alors que tout le gouvernement appelait à la solidarité, notamment envers les personnes les plus vulnérables. Ainsi, le 1er mai dernier, plusieurs dizaines de policiers ont interrompu la distribution de nourriture organisée par Les Brigades de solidarité populaire à Montreuil. Plusieurs bénévoles ont été contrôlés et verbalisés.
Trois niveaux d’entraves visent les associations
La première catégorie d’entraves, selon le rapport, est surtout symbolique. Il s’agit de discréditer les prises de paroles ou les actions. (...)
Cette disqualification du travail associatif permet aux autorités qui en usent de ne pas aborder le fond des problèmes, et peut conduire à un second niveau d’entraves : des poursuites judiciaires pour étouffer, épuiser les acteurs associatifs, y compris les médias. (...)
La troisième forme d’attaques récurrentes renvoie à une brutalité physique, sur le terrain, par les forces de l’ordre, mais aussi les perquisitions, les gardes à vue… Sans surprise, les militants contre les violences policières sont des cibles privilégiées de cette répression comme les Observatoires des pratiques policières à Lille et Toulouse. Les luttes environnementales semblent de plus en plus ciblées, depuis la mise en place de la cellule de renseignement Demeter dédiée aux « atteintes au monde agricole » par le ministère de l’Intérieur en partenariat avec la FNSEA, syndicat agricole majoritaire. Un militant anti-pesticides de Gironde a ainsi reçu la visite surprise de gendarmes au moment même où il préparait les États généraux des riverains autour de la question des pesticides.
Les défenseurs de l’environnement particulièrement visés (...)
« L’environnement est un terreau de la démocratie depuis toujours, car il est reconnu que les conséquences de projets, de décisions, auront des impacts sur tout le monde. Aujourd’hui, cette démocratie est totalement bafouée. La disproportion des formes de répression n’est pas rassurante » (...)
L’arme fatale : couper les subventions
L’accumulation de ces pressions, augmentées de coupes de subventions, peuvent mettre en danger l’existence même des associations ciblées. (...)
Ainsi, le centre de santé toulousain la Case de Santé a dû faire face à de multiples baisses de subventions (mairie, préfecture, agence régionale de santé), alors qu’il est le seul lieu de la ville rose soignant les sans-papiers et les Chibanis, et qui mise sur la complémentarité entre soin et accompagnement social. Les critiques des médecins sur les politiques de santé et la prise en charge des migrants seraient la cause de cette mise au ban.
Le contexte politique local joue un rôle primordial. Comment ne pas citer la ribambelle de reculs des libertés associatives dans les villes Front national. (...)
Alerter les politiques... ou faire sans eux ?
Ce rapport est aussi une occasion d’interpeller les partis politiques, et notamment la gauche, surtout après la conquête de grandes villes lors des dernières élections municipales. « S’ils n’ont pas une réflexion poussée sur la place de ces contre-pouvoirs, au-delà de la simple cooptation à l’intérieur des équipes municipales ou du clientélisme via le financement associatif, ce ne sera pas suffisant pour produire du changement social », certifie Julien Talpin.
Certaines associations n’attendent pas grand choses des politiques et préfèrent miser sur l’autodéfense. Du côté d’Utopia 56, les intimidations quasi quotidienne mettent les nerfs des militants à rude épreuve mais ne les découragent pas. Yann Manzi l’assume, il faudra aller plus loin dans la désobéissance civile face aux injonctions des préfectures, et continuer de filmer, documenter ce qui se passe sur le terrain (...)
Dans une vidéo réalisée par un des bénévoles durant le confinement, un policier dit explicitement son intention « d’user » les associations sur le terrain.
Une reconnaissance et une protection de la fonction démocratique des associations deviennent vitales pour sauvegarder l’essence de la citoyenneté. Des engagements politiques sont donc nécessaires, parallèlement à des ripostes individuelles. Car pour Julien Talpin, le principal risque réside dans l’autocensure (...)
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Poursuites judiciaires, intimidations… le gouvernement harcèle les associations écolos
(...) « Le camion de la gendarmerie a débarqué chez moi un samedi. Je suis un personnage public local et j’en a pris plein la figure. Alors que finalement, il n’y a pas eu d’enquête. Si cela arrive à un de mes bénévoles, je ne le reverrai plus jamais sur le terrain. »
« Ces entraves découragent les citoyens de s’investir. On ne peut pas se plaindre de la défiance à l’égard des élites quand celles et ceux qui tentent de s’engager se font taper sur les doigts. La criminalisation du militantisme est un problème fondamental pour notre démocratie », renchérit Julien Talpin. (...)