
Jusqu’au bout, betteraviers et ministère de l’agriculture auront joué les prolongations pour l’utilisation des insecticides les plus toxiques. Au détriment du développement d’alternatives, comme le bio, pour cultiver la betterave à sucre. Auprès de Mediapart, le ministre assume.
Ils étaient interdits, en France comme dans l’Union européenne, depuis 2018. Mais ce n’est qu’en cette fin janvier que le ministère de l’agriculture s’en détourne enfin : les néonicotinoïdes, ces insecticides tueurs d’abeilles se présentant sous la forme de semences enrobées, ne seront pas replantés cette année dans les champs de betteraves comme c’était le cas depuis deux ans.
Avec son arrêt rendu jeudi dernier, la justice européenne a parlé. Plus possible, cette fois, de contourner le droit communautaire : ces substances chimiques destructrices des écosystèmes, utilisées pour éliminer les pucerons vecteurs de la jaunisse de la betterave, ne peuvent plus être enfouies dans les champs.
Problème : depuis la réintroduction des « néonics » dans la betterave à sucre sous le premier mandat Macron, il y a deux ans, et en dépit de ce qui avait été alors promis, rien n’a été fait pour mettre au point des alternatives sans pesticides. Au contraire. Selon nos informations, au sein du « conseil de surveillance » chargé du suivi de cette dérogation, seules les solutions conventionnelles ont été encouragées. Les stratégies de manipulation scientifique se sont en outre multipliées, et l’avis des associations environnementales a été systématiquement écarté. (...)
C’est ainsi qu’un programme de recherche, monté par l’Institut technique de l’agriculture biologique (ITAB) afin d’étudier la possibilité d’une culture bio de betteraves sucrières, mais aussi la construction d’une filière avec outils de production et débouchés, n’a même pas été retenu dans la sélection des projets de recherche sur les alternatives aux néonicotinoïdes. Un total de sept millions d’euros d’argent public avait pourtant été mis sur la table pour mettre au point des solutions qui permettent de se passer de l’insecticide tueur d’abeilles. Les projets sélectionnés ? Des recherches sur d’autres produits phytosanitaires, sur la stérilisation des pucerons, sur des semences arrangées, sur des hormones qui seraient répandues dans les champs… (...)
Si le programme de recherche de l’ITAB n’a pas été retenu, c’est qu’il n’y a pas de marché, nous explique-t-on du côté du ministère. Il faut dire que ce conseil de surveillance nommé par le gouvernement avait une approche très économique de la question.
D’après nos informations, le délégué interministériel en charge de la coordination de ce groupe de travail est un inspecteur des finances. Rien, dans son parcours professionnel, n’indique une spécialisation sur les questions agricoles, l’agronomie, l’écologie ou encore la biodiversité. Plusieurs membres de ce comité interrogés par Mediapart regrettent d’ailleurs une approche obnubilée par la préservation de l’industrie du sucre et le statu quo sur la production de betteraves – une culture qui s’étale sur plus de 420 000 hectares en France, ce qui fait d’elle le premier producteur européen. (...)
Le consensus est pourtant établi depuis longtemps sur l’impact désastreux des néonicotinoïdes sur la faune et les écosystèmes. Les publications scientifiques sur la question se comptent par centaines, et des chercheurs français comme Jean-Marc Bonmatin ou Vincent Bretagnolle ont une reconnaissance internationale sur le sujet. Mais ce n’était pas leurs travaux qui étaient mis en avant par les personnes aux manettes de ce conseil. (...)
La filière, en tout cas, devrait s’en sortir sans trop de dégâts. Dès lundi, le ministre a annoncé une indemnisation pour le secteur en contrepartie du respect de l’arrêt de la Cour européenne, répondant immédiatement à la demande de la CGB qui défend les intérêts du secteur. (...)
la manne publique sera actionnée sans compter. Il n’est pas prévu, à cette heure, de limiter le montant de l’enveloppe de l’aide aux betteraviers.