
La banque d’investissement, filiale du groupe BPCE, a été condamnée par le tribunal correctionnel de Paris à 7,5 millions d’euros, correspondant à la peine maximale encourue. C’est l’épilogue pénal d’un naufrage prévisible dès la naissance en 2006 de Natixis.
Le communiqué ajoute : « Les faits objets de la condamnation ont été commis au cours de l’année 2007 durant “la crise des subprimes” qui avait débuté en 2006 aux États-Unis. Le jugement rendu par la 32e chambre du tribunal correctionnel ne présente pas un caractère définitif, la société condamnée disposant de la faculté d’interjeter appel. »
Ce jugement est l’épilogue d’un naufrage bancaire qui était prévisible dès la naissance de Natixis, en 2006, et qui a conduit à de très nombreuses irrégularités, que Mediapart a chroniquées ou révélées tout au long de ces dernières années.
Pour expliquer les raisons de cette condamnation, nous republions ci-dessous l’enquête que nous avions diffusée le 17 juin dernier, retraçant le naufrage de la banque.
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Le naufrage de Natixis, à la manière des emprunts russes
Au premier examen, on pourrait penser que l’OPA lancée par le groupe bancaire BPCE sur sa filiale Natixis, dans le but de porter son contrôle de 70,3 % à 100 % du capital, et donc de sortir sa filiale de la Bourse, n’intéressera que le microcosme des boursicoteurs. Erreur ! C’est bien plutôt l’épilogue d’un désastre bancaire révélateur qui mérite d’être examiné de près, pour au moins deux raisons.
D’abord, l’affaire fonctionne comme un miroir, et révèle les mœurs du capitalisme parisien : on y croise François Pérol, qui fut longtemps le bras droit de Nicolas Sarkozy ; Matthieu Pigasse, qui est l’un des actionnaires du groupe Le Monde ; ou encore Nicolas Namias, l’actuel directeur général de Natixis qui, du temps où il était conseiller de Jean-Marc Ayrault à Matignon, était supposé piloter la fameuse réforme de partition des banques promise par François Hollande.
Ensuite, l’histoire est la chronique d’un naufrage historique, la banque ayant été introduite en Bourse le 7 décembre 2006 à 19,55 euros, tandis que l’OPA est proposée à seulement… 4 euros l’action, entraînant la spoliation de millions d’épargnants. En bref, le naufrage de Natixis vient de loin : c’est un peu aussi celui du capitalisme parisien. (...)
La colère que suscite auprès de nombreux épargnants le naufrage calamiteux de Natixis va prendre dans les prochains jours d’autant plus de relief que, le 24 juin prochain, le tribunal correctionnel de Paris va rendre sa décision sur Natixis, qui avait été mise en examen et renvoyée devant lui pour « pour diffusion d’information fausse ou trompeuse ».
Cette OPA à 4 euros l’action et le jugement attendu sont donc les symptômes très révélateurs du naufrage d’une banque, que l’on pouvait prédire dès sa naissance. Il est donc important de comprendre pourquoi toutes les alertes qui ont eu lieu en 2006, puis les années suivantes, n’ont pas été entendues par les pouvoirs successifs, qui se sont révélés complices d’une opération de prédation. (...)
cette année-là, des tractations secrètes s’engagent entre les dirigeants des Caisses d’épargne et des Banques populaires, à l’insu de la CDC qui est pourtant le premier actionnaire de l’Écureuil, dans le but de berner la CDC, de tourner le dos aux missions d’intérêt général, et de créer une banque d’investissement nouvelle, contrôlée à parité par les Caisses d’épargne et les Banques populaires, pour aller spéculer sur les marchés financiers, sur le modèle de ce que font tous les grands établissements financiers anglo-saxons. En clair, de vieux établissements mutualistes et coopératifs, autrefois liés de mille manières au mouvement social, et dont le fonctionnement est supposé toujours être régi par la grande loi de 1947 portant statut de la coopération (l’une des grandes lois de la Libération), veulent rompre avec leur remarquable passé et s’encanailler dans l’espoir de participer à l’économie-casino qui a pris son envol avec la vague néolibérale.
Le projet est tellement sulfureux qu’il finit par être mis sur la place publique. À l’époque au Monde, c’est moi-même qui le révèle avec une collègue, dans un article publié le 10 mars 2006. Aussitôt, il suscite l’indignation du patron de la CDC d’alors, Francis Mayer. Pourtant déjà très malade et fréquemment hospitalisé – il meurt le 9 décembre de la même année –, il consacre ses dernières énergies, avec le renfort de son bras droit Dominique Marcel, à combattre un projet qu’il juge contraire à l’intérêt général. Sa colère, il me la confie dans un entretien que Le Monde publie peu après, le 6 avril. Mais, dans les dialogues nombreux que j’ai eus avec lui sur le sujet à cette époque, il est encore plus véhément. (...)
Pourtant, l’alerte de ce grand commis de l’État reste vaine – le ministre des finances de l’époque, un certain Thierry Breton, laisse faire. Et le projet de création de cette banque finit donc par voir le jour, sous le nom de Natixis. Or le projet est déjà contestable pour d’innombrables raisons – qu’il faut recenser, car elles sont au cœur du naufrage que la banque vit aujourd’hui. (...)