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Nantes, une manifestation regénérante
Article mis en ligne le 27 février 2014

Les services de nettoyage de la ville de Nantes ne parviendront pas, cette fois-ci, à effacer tous les stigmates de la manifestation sous la normalité jaunâtre de leur peinture anti-tag. Car les traces les plus tenaces ne sont pas à chercher sur les murs du centre ou sous les pavés du tram, mais bien dans les esprits. Ce sont les chaires de la métropole qui ont été touchées à vif par les dizaines de milliers de manifestants présents ce jour-là. Non pas par le soi-disant « saccage » du centre-ville (rien de comparable par exemple avec la mise à sac des cabanes et maisons régulièrement rasées sur la ZAD), mais par la détermination à venir porter au cœur même de la métropole une opposition, y compris physique, à ses logiques d’expansion.

(...) C’est que la manif de samedi était peut-être moins une manif contre l’aéroport de Notre Dame des Landes qu’une manif pour la ZAD. La ZAD particulière du bocage nantais, son « grand projet inutile et nuisible », ses agriculteurs-squatteurs et ses squatteurs-agriculteurs, mais aussi la ZAD comme cri de ralliement, celle de « ZAD partout », celle qui clame « on ne se laissera pas aménager ! on ne se laissera pas gouverner », et qui prend au mot cette proclamation.

Comment expliquer autrement que 50 000 personnes convergent de toute la France (et de l’étranger aussi si l’on en croit les communiqués du ministère de l’Intérieur) pour s’opposer à un projet qui, dans l’ordre de grandeur de l’inutilité et de la nuisance, n’est somme toute qu’un minable petit caprice de roitelets provinciaux ?

Qu’on compare, par exemple, avec le projet de centre d’enfouissement de Bure.
L’État français projette en effet d’y engloutir, sous des dizaines de milliards d’euros, non pas ses déchets nucléaires – dont on ne se débarrassera vraiment que dans quelques millions d’années, si on arrête maintenant –, mais le problème politique des déchets nucléaires... (...)

nous n’étions pas ce samedi, comme le relaient les journalistes qui croient que compter est une affaire de ratio par mètre carré, « de 20 000 à 50 000 personnes » ; nous n’étions pas non plus, comme le relaient les journalistes qui savent pertinemment que ce qui compte est politique, « 2 manifestations », une pacifiste et une émeutière. Nous étions un seul et même triton géant qui a pour un instant étreint la ville, nous étions des centaines de petits groupes venus ensemble et qui bougeaient ensemble, nous étions une armada de tracteurs, nous étions tous ceux qui étaient de cœur avec nous, nous étions la vallée de Suse et la place Taksim ! Et encore, c’est sans compter les manifestants qui défilaient sur les trottoirs... (...)

Ce n’est pas le black bloc européen qui est venu à Nantes ce samedi 22 février, c’est simplement l’expression d’un conflit ouvert avec le monde de la métropole. Si nous gagnons nos batailles depuis deux ans, sur la ZAD comme à Nantes, c’est parce que les autorités croient avoir face à eux une armée, et qu’elles se trompent. (...)

L’accord tacite trouvé au sein de la manif semblait tenir en ces termes, si l’on s’en tient à une première observation empirique : va pour laisser cours à une certaine rage et une certaine détermination, pourvu que ça reste ciblé contre les porteurs du projet d’aéroport, et que ça ne mette pas trop le cortège en danger. Ainsi, les grappins qui arrachèrent une partie de la grille qui bloquait l’accès au cours des Cinquante otages ont été acclamés, tandis qu’il paraissait plus compliqué de faire accepter le mobilier urbain de Nantes Métropole et les agences de promotion du tourisme dans la catégorie des complices d’AGO (et pourtant...).

Reste que journalistes et autorités locales sont bien en peine d’exhiber d’innocentes victimes des hordes sauvages censées avoir saccagé la ville. On a même pu lire dans la presse locale le témoignage d’un commerçant traumatisé... par les gaz lacrymogènes et les canons à eau qui ont inondé sa boutique, mais tourné de telle façon qu’il semblait remercier les CRS d’être venu le secourir ! Et ne parlons pas des crapuleuses tentatives de faire passer le manifestant qui a perdu un œil pour une victime de la casse, alors qu’il ne fait aucun doute que le policier qui a tiré l’a délibérément visé à la tête. Force est de constater que les « vandales » en avaient principalement après les flics, Vinci, et Nantes Métropole.

Il y a certes bien quelque chose qui a débordé dans cette manif, quelque chose qui déborde en permanence dans ce mouvement. Ça déborde, d’abord, de la stricte défense de quelques parcelles de bocage pour s’attaquer, au moins, aux logiques d’aménagement du territoire. Ça déborde, aussi, du strict cadre du recours légal pour s’opposer physiquement sur le terrain à l’exécution des décisions de justice. Ça déborde, surtout, quand les différentes composantes de la lutte ne restent pas cantonnée dans leur pré-carré : les radicaux, les citoyens, les paysans, les écolos, etc. Et ça a débordé, samedi, du parcours imposé par la préfecture, de la bienséance exigée de la part des manifestants, de la mise en scène symbolique. (...)

Les médias, jamais à court de formules creuses, postillonnent partout que la manifestation contre l’aéroport a dégénéré. C’est bien pourtant l’esprit même des premières manifestations du XIXe et du début du XXe siècle – avant que le gouvernement ne se décide à réglementer ce qui jusqu’alors s’appelait indistinctement « manifestation » ou « émeute » – qui a animé celle de ce samedi, et pas seulement pour les images de barricade de pavés. Le peuple prend la rue, y déverse sa colère, la défend face aux flics : voilà ce qu’est une manifestation non-dégénérée par plus d’un siècle d’encadrement réglementaire et de négociation de parcours en préfecture. (...)