
La mort de Cédric Chouviat met, une nouvelle fois, en lumière la dangerosité de certains « gestes techniques » – clefs d’étranglement, plaquages ventraux, pliage – utilisés par les policiers. La majorité des affaires similaires se sont soldées le plus souvent par un non-lieu.
Le 3 janvier, Cédric Chouviat, livreur de 42 ans, fait l’objet d’un contrôle par des agents de la police nationale, tandis qu’il circule à scooter dans le 7ème arrondissement de Paris. Alors qu’il filme le contrôle avec son téléphone, le livreur est plaqué au sol par plusieurs fonctionnaires puis fait un arrêt cardiaque causé, selon l’autopsie, par une asphyxie avec « fracture du larynx ».
Sur des vidéos, captées par des automobilistes qui assistent à la scène et diffusées par Mediapart, le livreur subit une clef d’étranglement ainsi qu’un plaquage ventral. En état de mort cérébrale, il est conduit en réanimation à l’hôpital européen Georges-Pompidou où il décède le 5 janvier. Il était père de cinq enfants. Le nom de Cédric Chouviat s’ajoute à une longue liste de personnes décédées dans des conditions similaires entre les mains des forces de l’ordre, et suite à l’usage de techniques d’immobilisation dont il devient difficile de nier la dangerosité.
70 « étranges malaises » entre les mains des forces de l’ordre
Selon notre décompte – issu de notre base de données comptabilisant les personnes décédées en lien avec une intervention des forces de l’ordre –, depuis 1977 au moins 70 personnes sont officiellement décédées d’un arrêt cardiaque ou respiratoire lors d’une arrestation sur la voie publique, dans un véhicule de police ou en détention dans un commissariat ou une gendarmerie. Une trentaine de ces cas se sont produits sur la dernière décennie. Rares sont ces « étranges malaises » qui ne sont pas émaillées de traces de violences, de zones d’ombres, de version contradictoires ou de rétention d’information... La plupart sont consécutifs à une arrestation musclée. La plupart n’ont donné lieu à aucune sanction. (...)
Clés d’étranglement, plaquage ventral... ces techniques d’interpellation sont jugées « dangereuses et disproportionnées », ont rappelé avocats et défenseurs des droits humains lors d’une conférence de presse avec la famille de Cédric Chouviat, le 7 janvier 2020. Interdit en Belgique, en Suisse ou dans certains États américains comme New-York, ce maintien au sol, autrement appelé « décubitus ventral », est autorisé en France. Les conséquences de ces techniques sont régulièrement épinglées par Amnesty International ou la Ligue des droits de l’homme (LDH). L’Acat (Action des chrétiens pour l’abolition de la torture) demande l’interdiction pure et simple du plaquage ventral et un encadrement plus strict de la clef d’étranglement (...)
Les règles d’application de ces « gestes techniques professionnels d’immobilisation » (GTPI) sont censées être encadrées. (...)
Les exilés ont été parmi les premiers à y être régulièrement confrontés lors de leur expulsion du territoire (...)
En cause : la technique du pliage qui consiste maintenir une personne assise, la tête appuyée sur les genoux. Ces drames engendrent l’interdiction du « pliage » en France mais uniquement dans le cadre de reconduite à la frontière. « Le temps de pression et de relâchement ne doivent pas dépasser trois à cinq secondes », prescrit la Police aux Frontières dans une note de 2003 relative à « l’éloignement par voie aérienne des étrangers », exhumée par Basta !. Depuis, plusieurs personnes ont subi le même sort, loin des caméras.
Les policiers très rarement condamnés
D’après les éléments à notre disposition, ce type d’affaire débouche rarement sur une condamnation du ou des policiers impliqués. Au moins sept non-lieu ont été prononcés, une relaxe et deux classements sans suite. Et ce, malgré les plaintes des proches ou les mises en examen d’agents pour « coups et blessures », voire « homicide involontaires ».
A notre connaissance, quatre condamnations à de la prison avec sursis ont été prononcés (...)
Pour Cédric Chouviat, une information judiciaire pour « homicide involontaire » a été ouverte. Maître Arié Alimi, l’avocat de la famille, a regretté « cette qualification juridique retenue par le parquet, qui est un euphémisme de la réalité », et demande une requalification, conformément à la plainte de la famille, en « violences volontaires ayant entraîné la mort », plaidable aux assises.
A chacune de ces affaires, les autorités tentent d’imputer quasi-systématiquement le décès au comportement supposément malveillant de la personne, ainsi qu’à son état de santé. L’affaire Cédric Chouviat n’a pas fait exception (...)
Des expertises « qui font honte à la médecine »
En l’absence de vidéos ou de témoins, les proches doivent donc livrer une longue et ardue bataille juridique, entre rapports d’autopsie et contre-examens médicaux lorsque la parole officielle est mise en doute. « Le combat pour prouver le lien entre le décès et la violence d’une interpellation des forces de l’ordre est extrêmement compliqué », nous confie Yassine Bouzrou, l’avocat de la famille d’Adama Traoré, mort le 19 juillet 2016 (...)
L’affaire Adama Traoré, depuis, est devenue emblématique du déni officiel, ainsi que du combat contre les violences policières. En février dernier, une contre-expertise, auto-financée par la famille Traoré, évoque une « asphyxie positionnelle ou mécanique ». Elle balaye ainsi les conclusions des rapports précédents qui imputaient le décès à la victime elle-même – au choix : drogue, maladie rare, ou course effectuée pour échapper aux gendarmes. Un gendarme avait par ailleurs admis que le jeune homme avait « pris le poids de nos corps à tous les trois ».
« Nous faisons face à des médecins qui ont inventé des pathologies : Adama Traoré avait un cœur d’athlète », s’indigne Maître Bouzrou qui suit de nombreux dossiers de ce type. « C’est extrêmement grave ! Le vrai bras armé des décisions de non-lieux, ce sont ces expertises de mauvaise qualité qui font honte à la médecine. » Pourtant, les travaux scientifique en la matière ne font pas mystère de la dangerosité de tels gestes. (...)
Outre ces plaquages ventraux ou ces clés d’étranglement, c’est bien l’usage de la force lors d’arrestations par ceux qui en ont le « monopole légitime » qui interroge. Le code de la sécurité intérieure des forces de l’ordre énonce clairement : « Toute personne appréhendée est placée sous la protection des policiers ou des gendarmes et préservée de toute forme de violence et de tout traitement inhumain ou dégradant ». (Article R434-17). Un principe rappelé par l’article 10 du code de déontologie de la Police nationale (...)
Pour la première fois, le ministre de l’Intérieur Christophe Castaner, sans nécessairement convaincre de sa sincérité, s’est déclaré ouvert à la remise en cause de ces pratiques. (...)