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Mediapart
« Pourquoi personne n’en parle ? » : 15 jours avant Nahel, Alhoussein, 19 ans, a été tué par la police à Angoulême
#Nahel #violencespolicieres #emeutes #Alhoussein
Article mis en ligne le 1er juillet 2023

Dans une indifférence quasi générale, ce jeune Guinéen de 19 ans a été tué par un policier le 14 juin dernier alors qu’il partait travailler. Ses proches, qui ont déposé plainte, remettent en cause la version policière et demandent « justice pour lui et pour Nahel ».

Angoulême (Charente).– Comment expliquer un silence ? Comment comprendre ce qu’il n’y a pas ? Pas de traitement médiatique d’ampleur, pas de commémoration, pas de réaction des pouvoirs publics, pas de mobilisation massive…

Alhoussein Camara, 19 ans, est mort le 14 juin dernier vers 4 h 30 à Saint-Yrieix-de-Charente, une banlieue résidentielle d’Angoulême. Ce Guinéen a été tué par la police alors qu’il se rendait comme tous les jours au travail, à la base logistique d’un Intermarché d’une autre commune. « Mais qui connaît son nom ? Qui sait ce qu’il s’est passé », interroge Maya, 20 ans, sa meilleure amie.

L’histoire fait cruellement écho à celle de Nahel, tué deux semaines après à Nanterre par un policier. Elle reste pourtant cantonnée à la rubrique des faits divers de la presse locale. Seule La Charente libre documente en détail cette affaire sans témoins ni images. (...)

Pour savoir ce qu’il s’est passé, il faut pour l’instant compter sur la version policière. Celle du syndicat de police Alliance, reprise par la presse, qui a immédiatement communiqué après les faits. « Nos collègues sont extrêmement choqués par cette intervention à l’issue dramatique. L’un d’entre eux est hospitalisé (blessure aux jambes). Cette intervention d’une violence exceptionnelle, face à la détermination d’un délinquant qui n’a pas hésité une seule seconde à percuter un policier à pied, et ainsi de commettre une tentative d’homicide sur nos collègues, tout en prenant des risques inconsidérés », pouvait-on lire.

Il y a aussi les précisions apportées par des sources policières et le parquet d’Angoulême dans les heures qui ont suivi. Alhoussein Camara aurait été repéré vers 4 h 30 au volant d’une Peugeot 307 « zigzaguant » sur la route, « signaux lumineux en fonction ». Les policiers décident de le contrôler mais il « refuse d’obtempérer ». Une autre patrouille vient en soutien et tente de l’arrêter, mais Alhoussein prend la fuite avant d’être finalement bloqué par les deux véhicules.

C’est là que le jeune homme aurait fait « marche arrière » et serait ensuite reparti en avant, « braquant ses roues à gauche, orientant le nez du véhicule vers un autre policier ». « Touché aux jambes lors de cette manœuvre », l’agent en question – qui a reçu 30 jours d’ITT – fait « usage simultanément de son arme à une reprise ». La voiture termine sa course contre le mur d’une habitation. Le décès d’Alhoussein est constaté à 4 h 50.

Dans la foulée, la procureure de la République d’Angoulême annonce l’ouverture de deux enquêtes. L’une pour « refus d’obtempérer » et « violence avec armes » ; l’autre visant le policier et confiée à l’IGPN, pour « homicide volontaire ».

Vous avez déjà vu quelqu’un fuir la police à petite allure et respecter les feux ?

Maya Biret, la meilleure amie d’Alhoussein Camara

À la lecture de ces précisions, il y a enfin les nombreuses interrogations. Celles de ceux qui connaissaient Alhoussein Camara. « Je sais tellement qu’il n’a pas pu blesser ce policier, mais comment le prouver sans vidéo... », affirme Bengaly, 22 ans, et ami d’enfance. « Cette version policière et les détails que l’on découvre ne collent pas », enchaîne Saïd, 28 ans, son collègue de travail.

Une course-poursuite à faible allure et une caméra en panne

Les détails justement interpellent. D’après la vidéosurveillance du foyer, remise à la police, Alhoussein Camara avait bien quitté les lieux vers 4 heures « comme tous les jours » en tenue de travail. Pour faire les 20 kilomètres habituels, il avait troqué sa trottinette pour une voiture récemment achetée. Et tout était en règle, comme l’a confirmé le parquet. « Il a eu son permis de conduire en avril, avait une carte grise et une assurance », insistent ses proches.

Si la police évoque une conduite en zigzag, les examens toxicologiques effectués après sa mort n’ont rien donné. Aucune trace d’alcool ou de drogue n’a été retrouvée. Aucun stupéfiant sur lui ou dans le véhicule non plus. Et son casier était parfaitement vierge. « Alors pourquoi aurait-il voulu échapper à la police ? », demande sa tante Mariama Kouyaté, qui a porté plainte depuis.

Dans des communications ultérieures, la procureure de la République a livré davantage d’éléments loin d’avoir rassuré la famille. La magistrate explique que le policier auteur du tir, victime « d’une entorse au genou », était bien porteur d’une caméra-piéton « dont l’exploitation n’a pas été possible faute de charge suffisante pour permettre son activation au moment des faits ». Elle précise aussi que la course-poursuite entre le véhicule de police et celui d’Alhoussein était « d’une allure relativement réduite » et que le jeune homme s’était même arrêté au feu rouge. (...)

Sur une photo prise par un journaliste de La Charente libre, on constate enfin que le parebrise du véhicule n’est pas brisé, semblant confirmer un tir latéral.

« Sur la base de ces éléments », le policier de 52 ans a été placé en garde à vue le 28 juin dernier puis mis en examen pour « homicide volontaire » afin de réaliser « des investigations complémentaires ». Il a été laissé libre sous contrôle judiciaire avec interdiction de détention d’arme et d’exercice professionnel. (...)

Une chose est sûre selon ses proches, Alhoussein n’avait rien à voir avec le « délinquant » décrit par Alliance. (...)

Jeudi soir à Angoulême, les proches d’Alhoussein se sont réunis pour discuter de leur ami. « Tous les jours, je regarde le JT de TF1 pour voir s’ils en parlent. On ne comprend pas pourquoi tout le monde se fout de la mort d’un jeune de 19 ans, pourquoi personne n’en parle », dénonce Maya qui fait le lien avec ses parents restés en Guinée et qui vient de solliciter l’aide de l’avocat Arié Alimi. Le collectif de soutien tout juste créé rumine sur « ce silence assourdissant ». Certains disent que « c’est parce qu’il a peu de famille en France », d’autres « parce qu’il est noir », la plupart « parce qu’il n’y a pas d’images ».

Et tous dénoncent l’absence de réactions des autorités. (...)

Le foyer où le jeune résidait déplore aussi « le mépris » des pouvoirs publics. « Aujourd’hui, on n’est toujours pas officiellement au courant de sa mort », raconte le directeur, uniquement informé par la presse locale, et qui attend toujours un appel officiel ou un certificat de décès. « J’ai simplement reçu un coup de fil des Renseignements généraux qui nous ont demandé si ça avait explosé et de canaliser les jeunes du foyer », témoigne-t-il.

Lire aussi :
 (la voix du Nord)

Mort d’Alhoussein Camara : le policier auteur du tir mortel mis en examen pour homicide volontaire

Le policier, auteur du tir mortel contre un Guinéen de 19 ans lors d’un contrôle routier le 14 juin à Saint-Yrieix (Charente), a été mis en examen mercredi pour homicide volontaire, a-t-on appris auprès du parquet d’Angoulême.
Un Guinéen de 19 ans tué par un policier

Cete « mise en examen a été accompagnée de réquisitions de placement sous contrôle judiciaire avec une interdiction de détention d’arme et une interdiction d’exercice professionnel », a annoncé mercredi soir la procureure de la République d’Angoulême Stéphanie Aouine, dans le cadre de l’ouverture d’une information judiciaire pour « homicide volontaire. » (...)

le jeune Guinéen a travaillé dans un restaurant et officiait désormais dans une base logistique d’Intermarché, où il se rendait, selon ses proches. Il était inconnu de la justice, selon le parquet.

Sa mort au volant dans le cadre d’une interpellation était la première en 2023 dans ces circonstances, avant celle de Nahel, un jeune automobiliste de 17 ans, tué mardi à Nanterre lors d’un refus d’obtempérer.