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le vent se lève
Misère de l’Anthropocène
#anthropocene #urgenceclimatique #capitalisme
Article mis en ligne le 16 mars 2023
dernière modification le 15 mars 2023

L’humanité était-elle vouée à détruire la nature et saccager l’environnement, avant qu’un groupe providentiel de scientifiques ne l’avertisse de l’impact de ses actions la planète ? C’est ce que suggère le concept « d’Anthropocène », en vogue depuis une décennie.

Contre ce récit, les historiens Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz estiment que cette approche est naturalisante, dépolitisante et inopérante pour répondre à l’urgence écologique. Ils proposent plusieurs concepts alternatifs (Thermocène, Thanatocène, Phagocène, Phronocène, Capitalocène, Polémocène) qui permettent de rendre compte des causes du désastre environnemental – et de penser les moyens de lutter contre elles. (...)

Leur réflexion critique aboutit à 7 récits alternatifs, complémentaires les uns aux autres, qui nous invitent à réécrire l’histoire de cette nouvelle ère géologique.

L’Anthropocène met fin à la séparation entre nature et culture

L’Anthropocène est le nom donné en 1995 par le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen à cette nouvelle ère géologique, qui est aussi non seulement climatique, mais également hydrologique, biologique, et même plus, dans laquelle l’homme serait entré. (...)

L’activité humaine a radicalement transformé les équilibres biologiques et écosystémiques de la Terre (...)

Entre 1800 et 2000, la consommation d’énergie a été multipliée par un facteur 40. L’homme dépasse la plupart des seuils critiques de stabilité du vivant, faisant peser le risque d’un effondrement global (...)

Contrairement à l’analyse historique, notamment celle défendue par Braudel, qui distingue le temps infiniment long des cycles naturels et les temps courts de variation des structures humaines et des événements historiques, l’Anthropocène est défini par la coïncidence entre histoire géologique et histoire politique. Cette conscience met fin à la possibilité que l’humanité puisse échapper aux contraintes naturelles, projet civilisationnel annoncé par exemple par Michelet qui parlait « d’arrachement aux déterminismes naturels ». L’Anthropocène caractérise le retour du social dans la nature, la conscience que les « natures sont traversées de social » et que les « sociétés sont traversées de nature ». (...)

l’Anthropocène renvoie souvent à une vision déterministe de l’histoire de l’humanité. Il renvoie à l’idée qu’aucune autre alternative n’était possible et que c’est uniquement grâce à la science moderne et aux alertes et travaux réalisés à partir des années 70 (rapport du Club de Rome sur les limites à la croissance, GIEC, COP) que les sociétés ont compris que leur activité pouvait changer la Terre dans sa totalité. L’Anthropocène véhicule ainsi l’idée d’une destruction environnementale faite par inadvertance car, pour reprendre l’allusion biblique, « ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient ». À partir de cette « nouvelle connaissance », l’humanité pourrait enfin agir, dans ce qui constitue un discours prophétique après la « révélation ».

Le deuxième constat infondé de l’Anthropocène, selon les auteurs, serait ce qu’ils nomment la « thèse de la dissonance cognitive ». Si nous détruisons la planète, c’est parce que nous n’aurions pas conscience de l’impact de nos actes sur la Terre et donc qu’il suffirait, en conséquence pour tout résoudre, que chacun devienne conscient et « pénétré par le message de la science ». (...)

Troisièmement, l’Anthropocène repose sur une vision du dérèglement planétaire comme étant le fait de l’humanité tout entière. (...)

A contrario, les auteurs rappellent que cette vision semble balayer d’un coup les acquis des sciences humaines. Pour eux, « l’agir géologique de l’espèce humaine est le produit de processus culturels, sociaux et historiques » et des « mécanismes de domination par lesquels certains collectifs en détruisent, exploitent ou soumettent d’autres dans des rapports sociaux asymétriques ». La question écologique est en réalité parcourue par des fractures inégalitaires nombreuses et par la main de la domination. Parler d’une seule humanité, qui aurait une responsabilité globale partagée et devrait gérer d’un seul tenant le système Terre, est erroné. (...)

D’autres récits explicatifs du « changement de régime d’existence » de la Terre sont possibles. (...)

Christophe Bonneuil, Jean-Baptiste Fressoz, L’événement Anthropocène, Editions du Seuil, 2013