
(...) L’amélioration du statut des employés de maison fut d’autant plus compliquée que leur nombre ne cessait de diminuer. Dans un premier temps au moins, ce ne fut pas la demande qui s’essoufflait, mais plutôt l’offre de travail. Au début du siècle, « les bonnes s’arrachent comme du pain chaud (4) » et la « question domestique » se pose avec acuité : les candidats à ces postes se font rares. La profession se féminise et les bonnes viennent de régions rurales plus éloignées. C’est l’époque de Bécassine (5)...
(...) Obsolètes, ces activités acquièrent soudain le statut d’un gisement d’emplois qu’il convient d’exploiter au mieux. A partir du début des années 1990, les mesures de soutien se succèdent : exonérations de cotisations sociales en faveur des emplois familiaux, réduction d’impôt sur le revenu, chèque emploi-service qui deviendra « universel » (CESU), création en 2005 de l’Agence nationale des services à la personne (ANSP)... L’argument de la création d’emplois rend cette politique assez consensuelle. Seul le plafond des réductions d’impôt sur le revenu est modifié au fil des alternances politiques, mais le principe n’est pas contesté : aidons les employeurs de femmes de ménage, cela crée (ou blanchit) du travail. Et peu importe si les coûts dérapent ou si ces aides ne profitent qu’aux ménages les plus aisés.
A son tour, la Commission européenne souligne l’intérêt d’un mécanisme comme le CESU. (...)
la question centrale est toujours la même : comment rendre le travail domestique bon marché ? Les niches fiscales françaises divisent le coût par deux. Le recours aux Albanaises et aux Ukrainiennes en Grèce, aux Ukrainiennes et aux Roumaines en Italie, aux Sud-Américaines en Espagne, permet d’atteindre un résultat assez proche. Le renouveau de l’emploi domestique en Europe (comme aux Etats-Unis précédemment) se manifeste dans un contexte d’augmentation et surtout de féminisation de l’immigration. Certains pays semblent même se spécialiser dans l’exportation de leur main-d’œuvre féminine, comme l’Indonésie, les Philippines (lire Profession, domestique) ou l’Ukraine.
Le renouveau de l’emploi domestique entrecroise deux questions fondamentales : quel est le périmètre des services soutenus par les pouvoirs publics ? Et quel doit être le degré d’organisation des services rendus ?
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les politiques menées dans de nombreux pays mélangent entretien et soin. C’est le cas des pays méditerranéens qui drainent quantité d’aides soignantes, infirmières ou assistantes maternelles issues des pays du Sud et tentent de pallier les insuffisances de leur Etat social en favorisant l’emploi de salariés hébergés chez les personnes âgées.
Mais c’est également le cas de la France, particulièrement depuis la mise en place en 2006 du plan de développement des services à la personne, ou plan Borloo (...)
dans les pays du nord de l’Europe, et en France depuis 2005, se développent des entreprises ou des associations prestataires qui structurent davantage l’emploi. Leur intermédiation n’améliore pas toujours les conditions de travail et d’emploi des salariés du secteur, mais elle transforme les relations en les dépersonnalisant.
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pour que ces emplois se développent, il ne faut pas seulement des riches : il faut aussi des pauvres pour les accepter. Là encore, la politique menée depuis 2005 témoigne d’une certaine cohérence : rendons le travail à bas salaire acceptable en créant le revenu de solidarité active (RSA), un dispositif prévu pour être « activé » au profit de ce secteur. Et, si cela ne suffit pas, peut-être faudra-t-il rendre obligatoire l’acceptation d’une offre d’emploi « raisonnable »... Certains employeurs résument bien cette idée : « Les filles jeunes ne viennent pas chez nous pour rester. C’est un métier de passage. Mais pour des dames de 40 ans, elles ne se voient pas faire autre chose », nous expliquait en 2008 la directrice d’une structure associative comptant trente salariées.
Le développement de ces services s’appuie donc sur des inégalités de revenus… qu’il contribue à creuser. Mais d’autres inégalités — plus fondamentales — de « statut » se nichent au cœur des relations sociales caractérisant le secteur. De ce point de vue, vouloir revaloriser la domesticité est une contradiction dans les termes. Les emplois de ménage sont associés à des groupes sociaux dominés (femmes et/ou immigrés) ; le rapport aux déchets et aux déjections les a historiquement constitués en métiers « ignobles » (réservés en Inde aux intouchables), symboliquement distincts des autres emplois non qualifiés. Ils constituent des « zones de relégation » (9) (...)
Les travaux liés à l’entretien (employée de maison, nettoyeur, aide à domicile et femme de chambre) constituent un débouché considérable pour des femmes en position d’infériorité parce qu’elles n’ont pas de diplôme, d’expérience, de réseaux ou plus simplement la nationalité française (10). Moins massif qu’en Italie ou en Espagne, le recours à la main-d’œuvre étrangère pour les services à la personne a d’ailleurs fait l’objet d’une mention explicite dans un rapport officiel : « C’est dans les métiers de la santé et des services personnels et domestiques qu’un recours, au moins temporaire, à une immigration plus importante peut se justifier, à condition que les nouveaux arrivants soient effectivement en mesure d’occuper les emplois à pourvoir (11). » (...)
Cette politique est à la fois coûteuse et inégalitaire. Elle s’inscrit dans une logique de marchandisation des activités domestiques, sans amélioration de la qualité des services rendus.
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