Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Reporterre
Mines au Maroc : la sinistre réalité du « cobalt responsable »
#cobalt #mines #Maroc
Article mis en ligne le 4 juillet 2023

Pour leurs voitures électriques, Renault et BMW prétendent acheter du cobalt éthique. Dans la mine marocaine où il est extrait, les mineurs rapportent des conditions de travail catastrophiques pour leurs droits et leur santé.

En langue tamazight, ils décrivent le boulot. Huit heures par jour, à 300 voire 500 mètres de fond, 20 minutes de pause à midi. Dans les galeries, ils poussent des wagons de minerai d’une tonne sur 1 à 2 kilomètres. Pour abattre le gisement, ils posent des explosifs à la main et, munis d’un marteau-piqueur pesant 25 kg, forent la roche dans un nuage de poussière. (...)

Le minerai que leur labeur permet d’extraire est un composé d’arseniure de cobalt : arsenic et cobalt, les deux produits commercialisés depuis des décennies par cette filiale de Managem.

Le premier sert à produire des pesticides, le second des alliages et des batteries, qui intéressent l’industrie automobile dans sa mutation vers l’électrique, en particulier BMW et Renault. (...)

Ces deux marques se sont tournées vers le Maroc pour échapper au scandale du cobalt extrait en République démocratique du Congo. Fournissant l’industrie mondiale à plus de 70 %, il est pointé du doigt pour de graves violations de droits humains. (...)

Les deux constructeurs le claironnent dans leurs communiqués de presse : pour produire les batteries de leurs véhicules électriques, ils s’approvisionnent en « cobalt responsable » extrait au Maroc.

Depuis 2020, la marque allemande est l’une des principales clientes de la Managem. En 2022, pour approvisionner sa future gigafactory dans le Nord, Renault a conclu avec elle un accord pour la fourniture de 5 000 tonnes de sulfate de cobalt par an, à partir de 2025, permettant de produire 300 000 véhicules électriques. (...)

Sur place, la réalité diffère. « Notre équipement, ce sont des bottes trouées, des gants déchirés et un casque », décrit Osmane, 24 ans. « Ma formation a duré un jour, poursuit-il. Tout en travaillant, on nous a expliqué comment poser les explosifs, comment mettre les protections. On ne nous a pas dit que la poussière était toxique. On n’a pas de masques. Une fois par an, il y a un examen médical rapide : on souffle pour vérifier la capacité pulmonaire, mais ils ne donnent pas le résultat. »

La poussière que respirent chaque jour les 1 200 salariés de la mine de Bou-Azzer est hautement toxique. Le cobalt et l’arsenic sont cancérigènes, en particulier le second, un poison notoire. L’exposition chronique à l’arsenic cause, entre autres, des cancers de la peau, des poumons et de la vessie, des maladies neurologiques et cardiovasculaires et des troubles de la reproduction. (...)

Employé en contrat à durée déterminée, Osmane gagne 3 500 dirhams par mois — environ 326 euros — soit un tout petit peu plus que le salaire minimum. Il fait les trois-huit et vient de travailler deux mois d’affilée sans aucun jour de repos.

Dans le droit du travail marocain, le recours au travail temporaire pour l’extraction minière est illégal [1]. Tout comme les autres pratiques que décrivent les mineurs de Bou-Azzer. Les règles pourtant peu protectrices du Statut du mineur, datant de 1960, ne semblent pas appliquées [2], et encore moins la Convention internationale sur la santé et la sécurité dans les mines, ratifiée par le Maroc en 2013.
Des repas au fond des galeries (...)

les mineurs doivent apporter leur propre nourriture et manger recroquevillés dans les galeries, où « il n’y a pas de place ». La pose d’explosifs s’effectue après une formation de pure forme et sans la « carte de contrôle d’explosifs » requise.

Les sous-traitants multiplient illégalement les CDD, privant les mineurs de leurs droits en matière de santé, de congés, d’avancement et de retraite. En cas d’accident, ces entreprises — Hydromines, Agazoumi, Top Forage, Socotramines, Fox — ne disposent d’aucune ambulance.

« Quand on est malade, on nous jette »
(...)

Amazir ], mineur d’une quarantaine d’années, s’emporte : « Je déteste ce travail. Il y a trop d’accidents dans cette mine. Les câbles d’extraction, les soutènements, rien n’est sécurisé. Beaucoup de mineurs souffrent de cancers, de maladies inconnues, et n’ont pas d’argent pour se soigner. Quand on est malade, on nous jette. » (...)

Les ouvriers rencontrés confirment que la majorité des mineurs ne peuvent pas déclarer leurs maladies professionnelles, et encore moins les ouvriers en sous-traitance, qui représenteraient la moitié des 1 200 salariés de la mine. Une fois un mineur atteint du stade 2 de la silicose, il est généralement licencié avec une « prime » de deux ans de salaire, et la maladie n’est pas déclarée. (...)

Les accidents mortels sont-ils fréquents à Bou-Azzer ? Idriss fait le compte : « De tête, je peux en citer 11 entre 2008 et 2022 » (...)

« quand il y a un mort, le sous-traitant paie uniquement les obsèques ». (...)

Entre 2011 et 2012, les ouvriers ont mené des grèves d’ampleur et des sit-in pour réclamer l’application du droit du travail, des mesures de sécurité urgentes et une hygiène de base, comme du savon pour les sanitaires.

La répression a été féroce. (...)

Torture et prison ferme (...)

Pour avoir organisé le mouvement des ouvriers à Bou-Azzer et dans la mine voisine d’Imini, Hamid Majdi a été poursuivi pour quatorze chefs d’accusation au total. Il a même été inculpé pour trafic de stupéfiants. (...)

Sous la pression populaire, Hamid sera acquitté deux ans plus tard. Fonctionnaire de l’administration, il a néanmoins été muté loin de Ouarzazate, son salaire a diminué et il a été mis au placard. (...)

Contacté par Reporterre, son futur client, Renault, rappelle que « la production de cobalt de Managem Group a été certifiée selon les standards de la Responsible Minerals Initiative (RMI), ainsi que par les évaluations de NQC et ECOVADIS ».

Également contacté par Reporterre, le groupe BMW assure que le groupe « mène des audits réguliers sur les sites de ses fournisseurs pour vérifier leur conformité avec les normes sociales et environnementales de l’entreprise » et qu’un « groupe d’experts s’est rendu sur le site de Bou-Azzer en 2022 ». Sans reconnaître avoir remarqué le moindre problème.

La Managem n’a pas répondu à nos requêtes concernant la mine de Bou-Azzer.