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Slate.fr
Merci Gisèle
/Titiou Lecoq
Article mis en ligne le 31 juillet 2020

Gisèle Halimi savait que tout est politique. Elle plaidait avec des discours de militante, elle politisait le particulier, elle en appelait à l’opinion publique, à la société tout entière.

La première fois de ma vie que j’ai entendu parler de Gisèle Halimi, j’étais adolescente et c’était dans La Force des choses, un volume des mémoires de Simone de Beauvoir. Elle y racontait comment cette jeune avocate l’avait contactée pour lui demander de médiatiser une affaire dont elle s’occupait : celle de Djamila Boupacha, militante du FLN, arrêtée par l’armée française alors qu’elle allait participer à un attentat. La jeune femme avait été violée et torturée par des militaires français, alors que la version officielle de l’époque, répétée par de Gaulle et Malraux, c’était « on ne torture plus ». Parler de torture, c’était insulter l’armée française, c’était dire que le gouvernement mentait. (...)

Beauvoir accepta évidemment. Elle reprit les déclarations de Boupacha et les présenta sous forme d’article au journal Le Monde. Les dirigeants rechignèrent à le publier mais finirent par accepter à condition de certains changements. Dans la phrase « On m’administra le supplice de la bouteille ; c’est la plus atroce des souffrances ; après m’avoir attachée dans une position spéciale, on m’enfonça dans le vagin le goulot d’une bouteille », le mot « vagin » fut remplacé par « ventre », parce que, expliqua Beuve-Méry à Beauvoir, « au cas où des adolescents liraient l’article, ils risqueraient de demander des explications à leurs parents ». Simone de Beauvoir avait également écrit « Djamila était vierge », qui fut subtilement placé entre parenthèses. (...)

Gisèle Halimi fut infatigable quand il s’agissait de défendre les opprimé·es. Mais le plus remarquable, et le plus étonnant pour notre époque, c’est la manière dont elle le fit.
L’affaire Tonglet-Castellano et la médiatisation des procès pour viols

Elle revendiquait de faire de la politique dans l’enceinte du tribunal. Sur un certain nombre d’affaires, elle chercha la médiatisation. Elle refusa ainsi le huis clos dans l’affaire de viols collectifs Tonglet-Castellano. Elle rameutait toutes celles et tous ceux qu’elle pouvait, elle faisait défiler à la barre pas seulement des témoins de l’affaire proprement dite, mais des intellectuel·les, des militantes, elle allait jusqu’à envisager de faire témoigner ses propres fils (...)

La justice n’était pas selon elle coupée de la société. Elle était un des endroits par où faire évoluer les rapports de force. (...)

De nos jours, on tend à considérer les tribunaux comme des espaces sacrés, qui doivent être tenus à l’abri de l’agitation politique de la société.

Mais Gisèle Halimi savait que tout est politique. Que quand on juge une affaire de viol, les textes de loi (et leur application) sont le fruit d’une époque et peuvent être modifiés, influencés, transformés, et que pour obtenir l’évolution de l’appareil législatif, il est très efficace de passer par la médiatisation de certains procès.

Dois-je ici préciser qu’à mon avis, il faut de nouveau faire évoluer les textes de loi sur les viols ? (...)

Voici un extrait de sa plaidoirie lors de ce qu’on a appelé le procès de Bobigny, où cinq femmes étaient poursuivies pour avortement, pratique d’avortement et complicité. Ce procès marqua un moment important pendant lequel l’opinion publique bascula en faveur du droit des femmes. Gisèle Halimi fit même témoigner une mère célibataire pour démontrer la difficulté de vie de ces femmes.

Lisez ce texte magnifique et voyez comment il n’a, malheureusement, pas vieilli : (...)