
Un rapport d’expertise embarrassant pour Sophia Chikirou a été rendu, avant l’été, dans l’enquête sur la campagne présidentielle de 2017 de Jean-Luc Mélenchon. La députée de Paris a été convoquée à la fin de ce mois-ci en vue d’une possible mise en examen. Mais l’interrogatoire a été reporté sine die pour des questions d’agenda, selon son avocat.
(...) Dans cette procédure, plusieurs membres du premier cercle du leader insoumis, comme sa trésorière historique Marie-Pierre Oprandi ou le député de Seine-Saint-Denis Bastien Lachaud, sont déjà mis en examen, notamment pour des faits d’« escroquerie aggravée », qu’ils démentent. Une association au cœur de la campagne de 2017, L’Ère du peuple, a également été mise en examen en tant que personne morale. (...)
La justice reproche aux mis en cause, qui sont juridiquement présumés innocents, d’avoir déclaré à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) des prestations fictives ou d’en avoir surfacturé d’autres dans le but de se faire rembourser des sommes indues par l’État. Celles-ci pourraient dépasser le million d’euros, selon l’enquête, qui avait été ouverte au printemps 2018 après un signalement de la CNCCFP au parquet de Paris.
Une perquisition menée au début des investigations au siège de La France insoumise avait provoqué la furia de Jean-Luc Mélenchon, qui avait tenté fermement de s’y opposer avec le célèbre « La République, c’est moi ! », ce qui lui a valu d’être condamné par la suite à trois mois de prison avec sursis et 8 000 euros d’amende pour rébellion et provocation. (...)
Quatre ans plus tard, les investigations se concentrent désormais sur Sophia Chikirou, élue à l’Assemblée nationale en juin dernier, et sa société de communication Mediascop. Un rapport d’expertise de 173 pages, rendu le 20 mai dernier aux juges d’instruction et que Mediapart a pu consulter, a en effet conclu que grâce à la campagne présidentielle de 2017, la société Mediascop a vu sa rentabilité bondir, avec un taux d’excédent brut d’exploitation de 22 % (contre 12 % lors de la campagne de 2012). Cette rentabilité est considérée par les experts comme « supérieure » à celle des entreprises du secteur de même taille, d’après leur rapport. (...)
Selon les données financières obtenues par les enquêteurs, la campagne présidentielle suivie des élections législatives a in fine permis à Sophia Chikirou de se verser à titre personnel, pour des prestations s’étalant de septembre 2016 à juin 2017, plus de 135 000 euros de salaires et dividendes avant impôts, dont elle a décidé seule du montant en tant que présidente et unique actionnaire de Mediascop.
Une situation qui tranche singulièrement avec le bénévolat de beaucoup d’acteurs et actrices de la campagne, la précarité de plusieurs autres prestataires (rémunérés sous le statut d’autoentrepreneurs) ou des propres employés de Mediascop, payés pour beaucoup au Smic par Sophia Chikirou. (...)
L’expertise conclut ainsi que, d’après les pièces consultées, les « relations contractuelles » entre Mediascop et l’association de financement de la campagne « ne se sont pas inscrites dans une démarche usuelle d’un appel d’offres ou d’une négociation auprès de prestataires aboutissant à la conclusion d’un contrat prévoyant un budget initial et/ou un barème ou encore de budgets partiels successifs par phase de campagne ».
Si les experts relèvent un taux de rentabilité important de Mediascop grâce à la campagne de 2017, ils affirment en revanche avoir été incapables d’analyser sérieusement la justesse des marges opérées par la société pour ses prestations propres (hors sous-traitance, refacturée normalement). La faute, disent-ils, à l’impossibilité d’avoir accès à la quasi-totalité de données de gestion précises et exploitables. (...)
Résultat, les experts confessent avoir dû mener, pour cette partie de leur rapport, une étude au « caractère très approximatif », qui évoque parfois des prestations facturées de manière « raisonnable », parfois avec des « marges substantielles ». Mais ils le disent eux-mêmes : sur la question des marges, il leur a été compliqué de « tirer une conclusion générale » sans la documentation adéquate.
L’examen des experts a été rendu d’autant plus ardu que tous les rendez-vous qu’ils ont sollicités avec Sophia Chikirou pour tenter d’y voir plus clair dans la comptabilité de Mediascop ont été refusés.
Les experts ont été également bien démunis pour jauger la réalité de la plus-value apportée par Sophia Chikirou elle-même pendant la campagne présidentielle justifiant ses émoluments, dans la mesure où les références internationales qu’elle a données aux enquêteurs en audition (communication pour le président de l’Équateur, suivi de la campagne de Bernie Sanders aux États-Unis ou de Podemos en Espagne, etc.) ont été en vérité réalisées « à titre bénévole », selon leur rapport. « Nous ne disposons pas d’éléments permettant d’apprécier plus particulièrement son apport en matière de “stratégie digitale” », concluent ainsi les experts au sujet de Sophia Chikirou. (...)
Ce n'est pas la durée de l'enquête policière et judiciaire qui pose problème mais bien les modalités du contrôle des #ComptesDeCampagne par la CNCCFP qui s'effectue a posteriori, sur les seules déclarations des équipes des candidats. #Melenchon pic.twitter.com/r93qMilq1v
— Transparency France (@TI_France) August 25, 2022