Après avoir été applaudis sur les balcons, portés aux nues par les artistes et transformés en héros par le chef de l’État, voilà les personnels soignants honorés symboliquement... Ils devront cependant encore patienter pour voir leurs salaires, parmi les plus bas d’Europe, augmentés et la masse d’heures supplémentaires accumulées payée.
Le gouvernement envisage de rendre un hommage national, lors du défilé annuel du 14 juillet sur les Champs-Élysées, aux travailleurs de la santé qui ont affronté l’afflux de patients contaminés par le coronavirus. La « médaille d’honneur des épidémies », créée en 1885 suite à l’épidémie du choléra et réhabilitée pour l’occasion, leur sera également remise. Ces considérations symboliques ne semblent pas vraiment satisfaire les premiers intéressés. « On va maintenant nous proposer une espèce de médaille en chocolat », s’est indigné un praticien [1]. Dans l’Aisne, les personnels soignants y voient plutôt une « médaille de la connerie ». « Échange médaille contre moyens », taclent des soignants en hôpital psychiatrique sur une photo postée sur Twitter.
Une prime et après ?
« Si vous n’en voulez pas vous ne la prenez pas », a sèchement répondu Emmanuel Macron, à un syndicaliste sceptique lors d’une visite de la Pitié-Salpêtrière à Paris. Le président de la République a ensuite rappelé qu’une prime exceptionnelle sera versée à la fin du mois. Après plusieurs semaines de confusion, un décret finalement paru ce 15 mai détaille les modalités et montants de cette rétribution. Le personnel des régions les plus affectées par la maladie (Hauts-de-France, Ile-de-France, Grand-Est...) se verra allouer une prime de 1500 euros. Celles et ceux officiant dans des zones moins contaminées percevront 500 euros. (...)
Les infirmiers français parmi les moins biens payés en Europe
En proie à des restrictions budgétaires et une privatisation rampante, les « blouses blanches » déjà mobilisées avant la crise du coronavirus ne désarment pas. Une partie de l’Hôpital Robert-Debré a déjà repris les manifestations lors de « Jeudi de la colère ». Leurs revendications, portées par les collectifs Inter-Urgences et Inter-Hôpitaux, restent d’actualité : réouverture de lits, matériel d’équipement, embauche de personnel et hausse des salaires.
Emmanuel Macron s’est finalement engagé, lors de sa visite, à revaloriser les rémunérations et les carrières. (...)
La rémunération des personnels soignants de l’hôpital public est l’une des plus basses d’Europe. (...)
« Nous ne voulons pas la charité mais des budgets » (...)
Acquis de longues luttes, généralisés sous le Front populaire en 1936, les congés payés ne sont ni une faveur ni une récompense mais un droit. « Tout salarié a droit chaque année à un congé payé à la charge de l’employeur », stipule le Code du travail. Or ces droits ne sont pas toujours respectés par l’État employeur. En poste à l’hôpital de Montauban, Selma n’a ainsi pas eu le temps de poser tous ses congés, avant d’être réquisitionnée dans un autre établissement en raison de l’épidémie. « Quand je suis partie, ils n’ont voulu me payer que mes congés annuels. Il me manque 14 jours de récupération, à peu près trois semaines de vacances », précise-t-elle. Déjà habitués aux horaires à rallonge en temps normal, les « héros en blouses blanches » chers au président de la République n’ont pas vraiment compté leurs heures depuis le début de l’épidémie. Quitte à dépasser la durée légale de travail.
En prévision, un décret, entré en vigueur dès le 25 mars 2020, autorise le dépassement du plafond des heures supplémentaires (de 15h à 20 h par mois), « au regard des impératifs de continuité du service public ou de la situation sanitaire ». « C’est une volonté du gouvernement de profiter de la crise épidémique pour remettre en cause le droit du travail, sans date limite », s’était alors inquiété Thierry Amouroux, porte-parole du Syndicat national des professionnels infirmiers (SNPI, affilié à la CFE-CGC). (...)
« Il a fallu que tout le monde ait peur pour être bien traités » (...)
Un million de jours de congés accumulés
Travailler sans rétribution financière est plutôt fréquent dans le milieu hospitalier. En 2019, la CGT a révélé que les hôpitaux marseillais devaient 800 000 heures de travail non payées ou de congés non pris. À l’AP-HP, on ne compte plus en heures mais en jours. Selon les calculs de plusieurs syndicats, les 77 000 salariés auraient cumulé plus d’un million de jours en quinze ans. « Pour les récupérer, il faudrait fermer l’équivalent de la Salpêtrière [et ses 1700 lits] pendant un an », s’exclame Olivier Youinou de Sud-Santé. « La vraie dette de l’hôpital est là. »
N’étant valables qu’un an, ces jours non pris, placés sur un compte épargne-temps, ne sont que rarement récupérés à cause du manque d’effectif. L’agent a le choix entre les transformer en point retraite ou en forfait. Problème : ces RTT seraient moins bien payées qu’un jour travaillé. Or, les heures supplémentaires sont censées être majorées... (...)
La solidarité des travailleurs, c’est la cotisation sociale (...)
Celle-là même dont le gouvernement a exonéré les entreprises pendant la période de confinement, pour un montant de plus de 3 milliards d’euros. Cette part du salaire brut participe aux recettes de la Sécurité sociale qui elle-même finance à hauteur de 75 % l’hôpital public, malgré les politiques de restriction budgétaires. C’est précisément cette cotisation-maladie, dont le taux est passé de 8 % du salaire en 1945 à 16 % en 1979, qui a permis la création de notre système de santé publique tant reconnu. À cette époque, les soignants n’étaient ni décorés d’une médaille, ni applaudis. Les personnels soignants appellent à une première journée de mobilisation le 16 juin.