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Maraîcher, j’appartiens à la rivière
#ecosysteme #riviere
Article mis en ligne le 3 décembre 2022
dernière modification le 2 décembre 2022

Mangeant les légumes et les fruits de la terre, nous sommes liés aux éléments, notamment à l’eau. Tisser un lien avec les rivières est essentiel pour retrouver le vivant, défend notre chroniqueur.

Dans son dernier livre « À l’est des rêves », l’anthropologue Nastassja Martin parle de sa relation avec Daria, une femme Even — un peuple nomade d’éleveurs de rennes — qui a fait le choix de retourner vivre en forêt, et de s’adresser aux éléments. Cette chronique leur est adressée.

Chaque jour, je vais saluer la rivière qui coule en bas du champ. Personne ne se souvient quand elle a commencé à couler. Mais cet été, j’ai bien cru qu’elle s’arrêterait. J’étais inquiet pour mes cultures maraîchères, mais j’avais aussi peur de perdre la rivière. J’ai senti que notre sort était lié : si elle disparaissait, mes champs, mon métier et mes usages s’arrêteraient avec elle. Je lui appartenais. Cette appartenance n’était pas aliénante, car il n’y avait aucune domination de sa part, aucune prise de pouvoir.

La rivière n’a pas besoin de moi, mais parfois, à force de m’adresser à elle, j’imagine qu’elle reconnaît ma présence, comme le rouge-gorge qui se poste sur un piquet en bois dès qu’il m’aperçoit. (...)

Cet été, en voyant son niveau baisser, laissant apparaître les cailloux, j’ai vécu l’angoisse de son assèchement, et j’ai commencé à envisager des aménagements pour maintenir mon activité économique : un forage, une retenue collinaire. Ces aménagements, au-delà des questions réglementaires et des conséquences sur l’environnement, posaient finalement une tout autre question : si je les réalisais, que deviendrait mon lien à la rivière ? (...)

Quand je puise dans la rivière, je mesure sa fragilité, et ma responsabilité. Quel lien d’appartenance pourrais-je avoir avec un forage ou une mégabassine ? Un forage invisibilise le lien avec l’eau de la nappe. Une mégabassine présente au moins l’avantage de faire remonter cette question à la surface. (...)

La tragédie du changement climatique pourrait bien entraîner l’interdiction de nos dépendances, par l’intermédiaire des autorités et des institutions qui ont elles-mêmes conduit à cette tragédie. C’est pourquoi il n’y aura pas de lutte contre le changement climatique, sans un changement radical d’anthropologie, invitant les humains à déplacer leur point de vue, en gardant à l’esprit la question posée par Philippe Descola [1] : « Comment donner la voix aux non-humains sans que celle-ci ne s’exprime à travers des humains ventriloques ? » (...)