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Mediapart
Maintenant la gauche, c’est quand qu’on va où ?
#gauche #assembleenationale
Article mis en ligne le 3 janvier 2023
dernière modification le 2 janvier 2023

Malgré l’« épiphanupes », la gauche est toujours en pleine crise de foi. À force de fragmentations ou de refus de toute structuration démocratique, aucun des mouvements et partis alliés il y a huit mois ne semble vouloir aller plus loin dans une refondation unitaire pourtant incontournable.

Aux dernières législatives, il était minuit plus une pour la gauche française. L’union bien orchestrée proposée par La France insoumise et concrétisée par la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes) apparaît huit mois après comme une façade sans lendemain, une fois assurée la reconduction de l’essentiel des appareils sortants.

En prenant acte de l’hégémonie mélenchonienne d’un côté, et de l’utilité finalement d’additionner les logos en période de crise démocratique de l’autre, les gauches avaient pourtant réussi à ne pas mourir et prouvé qu’elles n’étaient finalement pas si irréconciliables.

À l’époque, l’électorat de gauche n’était pas franchement dupe de la Nupes, et sa démobilisation dans les urnes aurait déjà dû être entendue comme une alerte démocratique. Les dégoûté·es qui ne croient plus à la réalité d’une alternative ambitieuse continuent de déserter les urnes, face à un état des lieux à gauche insuffisamment ragoûtant. (...)

Impensé démocratique et incapacité sociale

Huit mois plus tard, les élans et les promesses unitaires, les impensés, ou pire les renoncements à vouloir penser, sont nombreux. La prise de conscience éthique et l’introspection démocratique n’a pas eu lieu. (...)

À l’Assemblée, la rénovation des pratiques promises s’est fracassée sur le présidentialisme à la sauce 49-3, les stratégies de sauvegarde de la Ve République et les coups tactiques où l’extrême droite se fait toujours plus incontournable. L’espoir d’un renversement par l’hémicycle se révèle être le plus souvent une impasse.À l’Assemblée, la rénovation des pratiques promises s’est fracassée sur le présidentialisme à la sauce 49-3, les stratégies de sauvegarde de la Ve République et les coups tactiques où l’extrême droite se fait toujours plus incontournable. L’espoir d’un renversement par l’hémicycle se révèle être le plus souvent une impasse. (...)

Les affaires Bayou ou Quatennens, dans des styles différents, ont montré les incapacités à traiter rationnellement et sereinement en interne la question des violences sexistes, sexuelles ou conjugales. Les crispations identitaires autour de la personnalité clivante de Sandrine Rousseau semblent forger la majorité des désaccords. Le PCF serre les rangs autour de Fabien Roussel malgré l’enquête du Parquet national financier visant son emploi fantôme révélé par Mediapart.

Des épisodes qui en disent long sur le rapport complexe à l’exemplarité entretenu par une gauche dont la mue n’en finit plus d’être incertaine, tant elle est inconsistante.

Quant au projet que pourrait ambitieusement porter une gauche unie et renouvelée, aucune discussion collective ne s’est tenue pour approfondir et aplanir les « points durs » volontairement laissés de côté par un premier accord programmatique prometteur, mais négocié avec l’insouciance de ceux qui savent qu’ils n’accéderont pas au pouvoir. (...)

Pas d’ambition programmatique ou d’accompagnement d’ampleur sur la situation des salaires ou des services publics à l’os. Aucune proposition transformatrice sur la réduction du temps de travail, le salaire maximal ou une refonte de l’impôt. Une situation banalement désespérante alors même que la période, elle, est économiquement extraordinaire, entre retour de l’inflation quarante ans après, crise énergétique et impératifs écologiques.

Même le combat contre l’extrême droite semble incommoder la plupart des dirigeants actuels, à force d’accompagner les confusions et le signe « égal » entre la menace fasciste ou post-fasciste (réelle comme le prouve la recrudescence de violences racistes de plus en plus débridées) et la radicalité (parfois symbolique et le plus souvent fantasmée par des pans entiers de la Nupes) de militant·es issu·es des marges de la gauche.

Ils et elles ont pourtant toujours constitué le cœur de son avant-garde émancipatrice (lutte contre les discriminations ou les violences policières et carcérales, féminismes, droits LGBT+, droits de l’homme, écologie). Face au danger, la riposte apparaît au mieux classique et désordonnée, mais loin d’être à la hauteur. (...)

l’ambition internationaliste de la gauche française semble ne pas avoir survécu au changement de siècle. Jean-Luc Mélenchon a personnalisé, voire privatisé ses relations internationales, et les partis européens, qu’ils soient écologistes ou socialistes, ressemblent davantage à des agences de tourisme qu’à des lieux de construction de doctrines communes.

Comme le montre la guerre russe en Ukraine, la solidarité internationaliste entre les peuples (ou au moins les travailleurs) s’évanouit là où persistent de redoutables logiques campistes et complotistes héritées de la guerre froide.

Là encore, l’inconséquence face à un contexte pour le moins brûlant n’en finit pas de désarçonner, tant les désaccords méritent d’être ardemment exposés et débattus (comme ici), et pas seulement renvoyés à une promesse de les « trancher par le vote » un jour on ne sait quand.

Loin du terrain des luttes sociales, de l’éducation populaire ou de la formation militante, les élites politiques de gauche contemplent leurs divisions et s’ébrouent dans les anathèmes et polémiques quotidiennes, au lieu de réfléchir comment mener collectivement la bataille culturelle. Et convaincre les foules de leur faire durablement confiance, au-delà des coups stratégiques et personnalisés réactivant un populisme de gauche aux lendemains qui déchantent. (...)

Huit mois après la Nupes, le panorama de ses partis membres ou soutien réussit le tour de force d’être encore plus déprimant qu’avant la présidentielle. Engoncée dans des logiques internes d’appareil, chacune de ses organisations – plus ou moins structurées – met au jour ses propres faiblesses. (...)

Additionnés, les militants actifs de tous les partis de gauche ne sont pas plus de 50 000, ce qui ne fait pas beaucoup si on retire les élus, leurs collaborateurs et les cadres territoriaux qui gravitent autour d’eux…

Pourtant, l’heure est propice à définitivement refermer la parenthèse sociale-libérale, ouverte par la division européenne à gauche autour du référendum constitutionnel de 2005. Dix-sept ans après. Additionnés, les militants actifs de tous les partis de gauche ne sont pas plus de 50 000, ce qui ne fait pas beaucoup si on retire les élus, leurs collaborateurs et les cadres territoriaux qui gravitent autour d’eux…

Pourtant, l’heure est propice à définitivement refermer la parenthèse sociale-libérale, ouverte par la division européenne à gauche autour du référendum constitutionnel de 2005. Dix-sept ans après. (...)

La refondation n’a jamais paru aussi incontournable

Le succès du Rassemblement national le montre : la conquête méthodique et l’implantation durable sont les meilleures recettes du succès électoral. Et ces recettes se mijotent à l’intérieur de cadres organisationnels et de procédures claires qui permettent l’homogénéité interne et l’acculturation idéologiques, comme le renouvellement de son personnel politique.

La bataille culturelle est aussi une bataille militante. Et si le narratif humaniste et progressiste est aujourd’hui inaudible face au projet inégalitaire rabougri et simpliste de l’extrême droite, c’est certes parce qu’une grande majorité de l’élite politique actuelle (du centre macroniste à la droite ciottiste en passant le centre-droit philippiste) s’y vautre, mais aussi parce que ce qu’il reste de la gauche actuelle semble incapable pratiquement d’y changer quoi que ce soit.

La naissance d’un nouveau parti (ou fédération ou coopérative), aux formes délibératives et aux procédures internes adaptées au XXIe siècle, paraît désormais incontournable pour la gauche et les écologistes français. Le renouvellement des cadres militants et l’émergence d’une nouvelle génération semblent la dernière solution pour en finir avec l’entre-soi déprimant qui s’évertue sans audace ni idée depuis des années à démoraliser ceux qui voudraient inverser le cours des destinées. (...)

Cette refondation profonde de la gauche ne pourra être la conséquence que d’une démocratie radicalement ouverte qui romprait avec le malthusianisme militant et le paternalisme politique encore à l’œuvre dans ses rangs. (...)

Que la Nupes ait le courage de devenir l’organisatrice d’un processus démocratique permanent, un processus idéologique et électoral à tous les échelons (locaux comme nationaux), en usant du vote préférentiel et non du fait majoritaire. Et que les militants acceptent d’organiser des scrutins ouverts à tous ceux qui se reconnaîtraient dans une démarche enfin sincère et unitaire, sur les orientations programmatiques comme sur la désignation (et le renouvellement) de leurs futurs dirigeant·es ou candidat·es.

Cela demanderait de dire « halte à tout » et de changer en profondeur les pratiques et habitudes. Mais ça ne pourrait pas être pire que maintenant. Sauf à penser à l’avenir si rien ne se passait.